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l’Italie par le Nord, disait-il au lendemain de Villafranca, je suis forcé maintenant de la faire par le Midi. »

Dans les combinaisons de l’empereur, le rôle de l’Italie s’expliquait naturellement. Elle devenait l’auxiliaire obligée de notre politique et devait, dans les questions continentales, dans les conférences ou sur les champs de bataille, nous servir d’appoint décisif suivant les circonstances, soit contre l’Autriche, soit contre l’Allemagne, voire même contre l’Angleterre. Mais ces combinaisons ne pouvaient se justifier qu’à une condition, c’est que l’empereur resterait puissant, incontesté, au dehors comme à l’intérieur et qu’il serait assez résolu à ne permettre à l’Italie aucune infidélité à notre alliance, avec la Prusse moins qu’avec toute autre puissance. L’infidélité malheureusement ne tarda pas à se produire ; elle ne fut pas clandestine, elle se consomma portes ouvertes, avec notre plein assentiment; et l’Italie, au lieu d’être pour nous, comme le croyait Napoléon III, un élément de force et de sécurité, devint pour la France, sous de funestes influences, faute de prévoyance et de volonté, un sujet d’inquiétude et d’affaiblissement.

Mais en 1864 rien n’était définitivement compromis ; la politique des grandes agglomérations ne l’avait pas encore emporté sur la politique de Richelieu. La Prusse, en manifestant, après Solférino, des velléités d’intervention, nous avait rendu, sans le vouloir, un signalé service ; elle nous avait arrêtés dans une voie funeste, en nous obligeant à signer, en face du quadrilatère, une paix précipitée[1]. Nous restions maîtres des événemens, nous tenions toujours l’Italie par l’Autriche, et l’Autriche par l’Italie ; et la Prusse elle-même, en révélant ses arrière-pensées par une manœuvre intempestive, était vouée à l’impuissance. Les problèmes posés en Europe restaient en suspens ; l’empereur pouvait en hâter ou en retarder la solution à son heure, fort des expériences que lui laissait une campagne improvisée. Sans doute il n’exerçait plus en Europe l’ascendant moral que lui avait valu le congrès de Paris. Il avait soulevé trop de questions, heurté trop d’intérêts pour n’être pas discuté. Toutefois, malgré ses erreurs, il n’en demeurait pas moins le dispensateur de la paix et de la guerre. Aucun coup de canon ne pouvait se tirer sans son consentement. L’Autriche, la Prusse et l’Italie briguaient son concours et spéculaient sur ses défaillances. Elles savaient qu’elles ne pouvaient rien sans son agrément. Cette situation d’arbitre ne laissait pas que d’être enviable, elle permettait

  1. La Politique française en 1866.