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tenait plus compte de nos plus légitimes susceptibilités, irritait les esprits les plus calmes. L’empereur ne savait que décider. Les partisans de l’alliance italienne le suppliaient de ne pas intervenir, de laisser le pape s’arranger avec les Italiens. Ils affirmaient, pour mieux impressionner le souverain, que la Prusse spéculait sur nos dissentimens avec notre ancien allié, qu’elle n’attendait qu’un prétexte pour prendre sa revanche de l’affaire du Luxembourg et franchir le Rhin.

Ils exagéraient à plaisir : M. de Bismarck avait bien d’autres soucis. Il lui plaisait sans doute de nous voir aux prises avec les passions italiennes, mais il ne pouvait lui convenir de s’associer à la révolution contre la papauté. Il avait à ménager les sujets catholiques du roi de Prusse ; il lui importait surtout, après les décevantes expériences qu’il avait faites en Allemagne, lors de l’affaire du Luxembourg, de hâter le vote des traités d’alliance, et de ne pas les compromettre en s’aliénant les députés catholiques qui siégeaient dans les chambres wurtembergeoises et bavaroises. L’intervention prussienne n’était donc pas à redouter; M. de Moustier en était convaincu, il était fixé par ses correspondances d’Allemagne,

Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la guerre étaient d’accord. Ils trouvaient que l’intérêt français devait passer avant l’intérêt italien. « Si l’Italie, disaient-ils, viole la convention du 15 septembre et permet à la révolution de pénétrer sur le territoire pontifical, par des frontières volontairement mal gardées, le devoir de la France est de la faire respecter et de ne pas laisser protester sa signature à la honte de l’Europe. »

Les intrigues s’agitaient autour du souverain ; elles avaient beau jeu, l’Italie était son point vulnérable. Les deux ministres offrirent leur démission. Ils ne voulaient pas, après toutes les défaillances de la politique impériale depuis le mois de juillet 1866, s’associer à un nouvel acte de faiblesse. Les résolutions viriles l’emportèrent dans les conseils des Tuileries. Le maréchal Niel était prêt; il procéda avec une rapidité foudroyante. Il semblait, après la défaite des garibaldiens, que la haine présiderait désormais aux relations de l’Italie avec la France, et ce fut Mentana qui devint le point de départ de leur rapprochement. L’Europe fut vivement impressionnée par l’énergie et la promptitude de la répression. On admira notre armement, l’organisation et le rapide embarquement du corps expéditionnaire. Notre prestige, si profondément atteint depuis Sadowa, se releva subitement, on comprit que la France n’était pas encore descendue au rang de seconde puissance, qu’elle était résolue à faire respecter ses droits et sa dignité. L’Allemagne s’émut, l’Autriche, la Bavière et le Wurtemberg reprirent confiance dans l’avenir, M. de Bismarck réfléchit, et l’Italie, qui parfois avait abusé de nos sympathies,