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pour ce qui concerne les patrons, les principales indications fournies par l’enquête. En France, le patronat décline en qualité plus qu’il ne progresse, tandis qu’en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, il serait plutôt en voie de s’améliorer.

Quant aux artistes industriels et aux ouvriers, les résultats généraux de l’enquête ne sont pas moins dignes d’attention. Les artistes français qui créent les modèles, inventent les dessins et disposent les couleurs, ces coopérateurs considérés à juste titre comme formant le grand état-major des industries d’art, gardent leur supériorité. Lorsque l’étranger ne peut pas nous les prendre par un embauchage intelligent, il s’empare de leurs œuvres, dont nous n’avons que la première édition. De même, les ouvriers d’élite, dont le travail, très rapproché de l’art pur, ne peut pas être suppléé par la machine, demeurent tout à fait hors de pair. Quelques-uns émigrent, attirés à l’étranger par une rémunération plus élevée ; mais le plus souvent ils nous reviennent vite, s’apercevant que leur goût et leur habileté de main perdraient à être longtemps dépaysés. A la suite des artistes et des ouvriers d’élite, se groupent les différentes catégories d’ouvriers qui travaillent pour les industries d’art et qui sont aussi nombreuses que variées. C’est là que réside la force de la production; c’est avec cette armée que la France doit lutter contre ses concurrens. Or il paraîtrait, d’après l’enquête, que, dans un certain nombre d’industries, les ouvriers d’aujourd’hui ne valent point leurs devanciers; ils seraient moins instruits, moins attachés à leur travail, bien que les salaires aient presque doublé depuis vingt ans. Ce témoignage défavorable ne vient pas seulement des patrons; il est confirmé par l’étude impartiale des faits et des chiffres. La main-d’œuvre, en France, subit une sorte de crise morale dont nous n’avons pas à rechercher ici les causes, et dont il suffit de constater les regrettables effets. Si, pendant ce temps, les ouvriers étrangers deviennent plus instruits et plus habiles, s’ils peuvent se contenter de moindres salaires, il est évident que la concurrence tournera contre nous et que la France perdra insensiblement l’avance qui lui reste encore. Voilà le péril qu’il faut voir et combattre. Aussi, après cet aperçu général de la condition des patrons et des ouvriers, convient-il d’aborder, par le détail, les principales questions qui ont été soumises à la commission d’enquête.


II.

La première question est celle de l’apprentissage. Cette école primaire de l’ouvrier devient de plus en plus déserte. Les corporations