Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont fait observer avec raison que l’état ne peut pas tout entreprendre et qu’il appartient aux industriels, isolés ou groupés, de supporter les charges d’un enseignement dont les résultats leur profitent. Il importe en effet, à tous les points de vue, d’étendre le rôle de l’initiative privée et d’obliger les intéressés à faire eux-mêmes leurs affaires. Les recours à l’état et au budget sont, en France, beaucoup trop fréquens. Il faut toutefois reconnaître qu’en cette matière spéciale l’intervention de l’état est nécessaire. On peut la contenir dans les justes limites, mais il est impossible de la supprimer. Elle se justifie par le caractère général et collectif des institutions à fonder et des mesures à prendre dans l’intérêt d’un grand nombre d’industries. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir des écoles, d’entretenir des professeurs et d’attirer des élèves pour tel travail déterminé; à cette tâche les efforts individuels ou corporatifs suffiraient peut-être. Le but est plus haut : sans s’ériger en professeur, l’état a, en quelque sorte, charge d’art, c’est-à-dire qu’il doit et qu’il peut mettre à la portée de la nation tout entière les enseignemens et les modèles à l’aide desquels l’art se transmet et le goût s’épure. L’éducation du public est la première condition du progrès artistique et du progrès industriel. Si indépendant que soit celui qui crée, il puise ses idées et ses inspirations dans l’air ambiant, dans le milieu où il vit et où il voit. Le goût public exerce sur la production une influence certaine. Conserver et répandre dans un pays les règles et la tradition du goût, c’est, à coup sûr, une œuvre nationale, et la collectivité, représentée par l’état ou par la commune, est seule en mesure d’y pourvoir par la fondation et l’entretien des musées et d’autres établissemens artistiques où les foules ont facilement accès. Combien d’industriels se plaignent de fabriquer des produits qu’ils jugent eux-mêmes inférieurs et informes! Ils y sont condamnés par le mauvais goût du public qui est leur client. Quelques-uns avouent que l’ignorance vaniteuse de certains acheteurs les encourage à confondre, dans un travail d’art, les styles, les formes et les couleurs, si même ils ne sont pas tentés de livrer du neuf pour du vieux et la contrefaçon grossière pour l’original ! Toutes les couches du public ont besoin d’être instruites, l’enseignement doit être général ; le goût public, épuré, redressé, est une richesse en même temps qu’un titre d’honneur. Les dépenses faites par la nation en vue de cette instruction générale sont des dépenses fécondes.

C’est ainsi que la plupart des pays européens ont procédé quand, à la suite de l’exposition universelle de 1851, ils ont résolu d’engager la lutte contre la France pour les industries d’art. M. Antonin Proust a énuméré dans son rapport les musées et les collections