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Pourtant, dès les premiers jours, les partis s’étaient dessinés, et même des luttes passionnées avaient commencé à s’engager. Il n’y a jamais eu que deux partis en Norvège : celui des paysans et celui des fonctionnaires. C’est là un phénomène commun à ce pays et au Danemark, et aussi, mais avec des différences sensibles, à la Suède, On a parfois exprimé cette situation politique et sociale, particulière aux pays scandinaves, en disant que, dans ces pays, à l’encontre de ce qui se passe généralement, le parti conservateur se recrute dans les villes, tandis que le parti radical est représenté par la population des campagnes. Cette formule, comme toutes les formules, n’est vraie qu’en partie. L’anomalie est plus apparente que réelle. Pour s’en rendre compte, il faut noter qu’en Norvège l’aristocratie a complètement disparu depuis longtemps : — lorsque les familles nobles ont été mises en demeure, par une loi de 1821, de produire leurs titres, il ne s’en est présenté que seize, dont quatorze seulement avaient des titres suffisamment établis. D’autre part, les grandes villes, avec leur population ouvrière et remuante, n’existent pas, ou sont de date toute récente : Christiania, qui a aujourd’hui 100,000 habitans, n’en avait que 10,000 en 1814. Si l’on ajoute que la propriété foncière est extrêmement divisée, surtout dans l’Ouest, et si l’on tient compte de la défiance et de l’aversion naturelle des paysans pour l’administration, toujours associée dans leur esprit à l’idée d’un impôt à payer, on comprendra que la population se soit naturellement divisée en deux classes : les classes éclairées, représentées à peu près exclusivement par les fonctionnaires, et les paysans petits propriétaires (Gaardbruger). Le régime sous lequel le pays avait longtemps vécu contribuait à marquer cette scission : pendant plus d’un siècle, l’administration avait été en grande partie composée de Danois étrangers au pays. La constitution même, — comme d’ailleurs l’ensemble de la législation, — tendait à distinguer et à séparer les habitans des villes d’avec les gens des campagnes. Collèges électoraux spéciaux, privilèges particuliers, droit électoral, droit civil même, tout était différent. Dans de pareilles conditions, les partis politiques étaient déterminés d’avance. A vrai dire, sauf quelque variété de formes, ils ne sont guère dissemblables de ceux qui se partagent ailleurs le corps électoral et les assemblées politiques. Dans quel pays la minorité intelligente ne se trouve-t-elle pas aux prises avec le nombre?

Au début, toutefois, les paysans ne sentirent pas leur force. Ils n’avaient ni programme arrêté, ni organisation, ni chef. Ils étaient en minorité au storthing, où ils étaient représentés par de riches