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que, dès la première session, on les avait sentis. Plus d’une fois, au cours des discussions, on avait eu lieu de regretter l’absence des membres du gouvernement. Faute de pouvoir prendre part aux débats, le ministère en était réduit à user largement du refus de sanction. Aussi M. Falsen lui-même, l’auteur de la constitution, avait proposé, dès 1821, un premier projet tendant à l’admission des conseillers d’état aux séances et aux délibérations du storthing. On ne songeait alors qu’à rendre plus facile la collaboration des pouvoirs publics : on se défendait même de vouloir introduire le régime parlementaire. Néanmoins la proposition fut repoussée et les nombreuses propositions qui se succédèrent en ce sens à presque toutes les sessions échouèrent constamment. Chose remarquable, et qui montre combien la question était alors mal comprise de tous les côtés : c’était le gouvernement qui proposait cette modification de la constitution, et c’était le parti des paysans, Ueland en tête, qui s’y opposait énergiquement, sous prétexte qu’une pareille innovation accroîtrait outre mesure l’influence du pouvoir royal et mettrait le storthing à sa discrétion.

M. Sverdrup se crut obligé de voter avec Ueland quand la question se pré-enta aux sessions de 1854 et de 1857. Il motivait son vote en expliquant que « la portée du projet n’était pas encore clairement aperçue. » Mais il comprenait qu’on faisait fausse route. Introduire les ministres aux séances du storthing, ce n’était pas mettre le storthing à la discrétion du roi, c’était, tout au contraire, placer le gouvernement sous la dépendance de l’assemblée. Le régime proposé n’était même pas le gouvernement parlementaire. Ce n’est pas par un simple amendement qu’on peut songer à introduire ce système de gouvernement dans une constitution fondée sur d’autres principes. Il suppose avant tout un ministère pris au sein des chambres, composé des chefs de la majorité, possédant à la fois la confiance du chef de gouvernement et l’influence que lui assure la situation personnelle de ses membres dans le parlement, et assurant ainsi la bonne entente entre les pouvoirs publics. Mais quand les ministres ne sont pas députés, lorsqu’ils sont même écartés de la députation par une loi d’incompatibilité, s’ils entrent au parlement, c’est pour se soumettre à un contrôle de tous les jours, s’entendre questionner, blâmer, reprendre et bientôt recevoir des ordres. Le ministère ne dépend plus du roi que de nom : le pouvoir royal n’est qu’un rouage inutile que l’on conserve par tradition.

Lorsque la question revint sur le tapis, au storthing de 1859-1860, M. Sverdrup, qui venait d’être élu par le district rural d’Akershus, se sépara pour la première fois d’Ueland et de son parti, vota pour le projet du gouvernement et fit à ce propos une déclaration qui eut un très grand retentissement. Il ne cachait rien