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n’avoir pas exécuté la décision du 9 juin. Quelle justice pouvaient-ils attendre de ceux-mêmes qui l’avaient rendue ? Mais la défense ne faisait-elle pas le procès à la constitution ? En composant la haute cour d’hommes politiques, les constituans de 1814 avaient dû prévoir que les juges auraient, par la force des choses, même par devoir professionnel, leur opinion faite et publiée sur la question en litige. Quoi qu’il en soit, après un mois et plus de plaidoiries, les conclusions de la défense furent rejetées le 17 septembre, et on passa outre au jugement du fond.

La discussion sur le fond s’ouvrit le 3 octobre et donna lieu à des développemens à perte de vue. Sauf une quinzaine d’interruption à Noël, la cour tint sans désemparer quatre heures d’audience tous les jours pendant cinq mois. Le compte-rendu in extenso, qui a été publié jour par jour, comprend, pour cette partie seulement du procès, près de trois mille pages in-4o. On comprendra que nous reculions devant l’analyse d’un pareil document, qui est un véritable traité de droit constitutionnel. Le point de droit, la question du veto, fut de nouveau examiné sous toutes ses faces. Mais de plus le procès soulevait des questions nouvelles. La défense fit ressortir que l’accusation se contredisait, puisqu’on reprochait aux ministres d’avoir conseillé le refus de sanction à la résolution du 17 mars 1880, et en même temps de n’avoir pas reconnu que cette résolution pouvait se passer de sanction pour être exécutoire. Quel que fût au surplus le parti que l’on dût prendre sur la question du veto, le ministère était-il coupable, avait-il encouru une peine pour avoir adopté une interprétation du texte constitutionnel conforme à tous les précédens, suivie par les commentateurs, enseignée par les jurisconsultes, qui avait au moins pour elle de graves et fortes raisons ? Si on laissait le terrain du droit pour se placer sur celui de la politique, s’il s’agissait seulement d’apprécier la conduite des ministres et de la condamner comme contraire aux intérêts du pays, les refus de sanction ne pouvaient pas tomber sous ce contrôle. Le gouvernement ne doit compte à personne de l’exercice de son droit de veto, précisément parce que ce droit lui est donné pour empêcher l’effet des résolutions qu’il juge dangereuses. Il est de l’essence de ce droit de s’exercer discrétionnairement. Si le gouvernement devait en rendre compte, il n’aurait plus le dernier mot, et par suite il n’aurait plus de veto. Enfin, était-ce vraiment contrarier les intérêts du pays que de se refuser à une innovation si contestable, que le storthing lui-même s’y était opposé pendant cinquante ans, et d’y avoir mis quelques conditions, encore très insuffisantes, pour assurer la sincérité du régime parlementaire ?

Le 18 février 1884, jour de la clôture des débats, M. Selmer prit lui-même la parole. Il se défendit énergiquement en quelques