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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/401

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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

le capital. Bien qu’au XVIIe et au XVIIIe siècles, le domaine congéable ait mis plus d’une fois un certain nombre de tenanciers aux prises avec leurs seigneurs, les témoignages ne cessent pas d’être favorables, et le prix en redouble lorsqu’on voit qu’ils procèdent d’hommes considérables attachés aux idées nouvelles. Tel est Malesherbes, qui définissait dans un mémoire écrit en 1791 le domaine congéable « un moyen sage et sûr pour défricher les terres de cette partie de la France. » C’est aussi l’avis de corporations savantes, engagées dans les voies du progrès moderne, comme la Société royale d’agriculture. Les prévenions de la Constituante durent s’amender elles-mêmes à un second examen. Dégagé d’accessoires féodaux qui en masquaient le véritable caractère, le domaine congéable persista après la révolution ; seulement il s’en faut qu’il ait continué à se montrer également profitable aux intéressés et à la culture des terres. Les temps avaient changé. Les clauses qui enchaînaient l’un à l’autre des intérêts différens, auxquels il eût mieux valu faciliter leur libre essor dans les circonstances renouvelées de la société et de l’agriculture, entravèrent les progrès que la même institution avait secondés efficacement dans un milieu différent. Ce besoin de s’affranchir agissant de part et d’autre, et surtout du côté de la propriété, la décadence commença à s’accuser davantage de jour en jour. Quoi qu’il en soit, le domaine congéable prédominait encore en 1840, bien qu’on vît coexister avec lui les autres formes de tenure, à savoir le bail à ferme ou à rente, le bail à moitié et le bail à cheptel. Aujourd’hui, le domaine congéable ne se défend plus guère que dans le Finistère, où il persiste à compter plus de partisans, même parmi les propriétaires, qu’on ne le croit communément. Au fond, la nature de ce contrat, partout où il subsiste, n’a pas changé. Aujourd’hui, comme autrefois, le propriétaire se réserve le fonds et abandonne la surface au tenancier : celui-ci, selon les clauses du bail, peut reprendre sa liberté, et le propriétaire est de son côté maître de le congédier sous certaines conditions, et moyennant indemnité. Ce qu’on voit beaucoup moins, c’est la perpétuité, en quelque sorte indéfinie, des familles de superficiaires établies sur ces domaines. Partout, les propriétaires profitent de la faculté de congément pour se faire indemniser chèrement, ce qui arrête tout esprit d’entreprise chez les exploitans. — Nous venons de dire que le Finistère faisait en général exception ; nous devons motiver cette affirmation d’un fait peu connu ou même méconnu souvent.

Le domaine congéable se maintient avec succès dans des parties Aussi florissantes qu’étendues dans ce département. Cela est si vrai que telles de ces terres, situées sur la côte, étaient naguère vendues sur le pied de 4,000 à 8,000 francs l’hectare et donnaient un