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qu’elle tombât en pourriture. Les Ammonites brûlaient leurs enfans en l’honneur de Moloch, et Manéthon rapporte que l’on sacrifiait chaque jour à Héliopolis trois misérables esclaves.

Les horreurs sans nom de Carthage se retrouvent à Upsal chez les Scandinaves; à Rugen et à Romova, chez les Slaves. Les Hindous offraient chaque année à leurs dieux cent quatre-vingt-cinq victimes humaines. La coutume des ancêtres, un mythe consacré par la tradition, avaient fixé ce chiffre. Inspirés par le même sentiment, les Romains précipitaient tous les ans trente malheureux dans le Tibre ; peu à peu les mœurs s’adoucirent, et les hommes furent remplacés par des mannequins d’osier. Aux temps où Pline écrivait son Histoire naturelle, certains peuples de l’Ethiopie croyaient honorer leurs dieux par de sanglans sacrifices. Juvénal, dans la satire où il raille si impitoyablement les superstitions des Égyptiens, raconte l’ardente lutte de deux villes, Coptos et Tentyra. « Un Coptite, s’écrie-t-il, dont la terreur précipitait les pas, glisse et tombe; on le prend, on le coupe, on le dépèce en mille morceaux afin que ces débris puissent servir à tous. La troupe triomphante le dévore et ronge jusqu’à ses os. Elle ne le fit pas bouillir dans l’airain, ni rôtir à la broche, tant d’apprêts semblaient trop longs à son impatience; elle se contenta d’un cadavre cru, »

Ces scènes d’anthropophagie ne sont point des licences poétiques ; nous les trouvons partout, inspirées non-seulement par l’ardente colère de la lutte, mais encore par des sentimens plus doux, par l’amour ou le respect, par exemple. Chez les Issedones, une des tribus scythes, quand un vieillard était sur le point de mourir; « ses parens, dit Hérodote, s’empressent d’arriver, amenant leurs plus beaux bestiaux; ils les égorgent, les coupent en morceaux; ils en agissent de même pour le cadavre, et, après avoir mêlé toutes ces chairs, ils en font un festin. Ils ôtent ensuite le poil de la barbe et les cheveux, et, après avoir soigneusement nettoyé la tête, ils la dorent et s’en servent dans les sacrifices solennels qu’ils sont tenus d’offrir chaque année. » La même coutume existait chez les Massagètes. Un usage transmis par les ancêtres voulait que les vieillards fussent étranglés, et leur chair, mêlée à celle d’un mouton, était servie au repas qui terminait les funérailles. Ce festin devenait pour les enfans un devoir pieux, et nulle sépulture ne semblait plus honorable. Aristote nous dit le cannibalisme chez les hommes qui habitaient les bords du Pont-Euxin; Diodore de Sicile, chez les Galates; César et Porphyre décrivent les sacrifices en usage chez tous les peuples barbares de leur temps, et Strabon, en parlant des Irlandais, les montre plus sauvages encore que les Bretons. « Ils sont, dit-il, anthropophages et polyphages et se font un honneur de manger leurs parens lorsque ceux-ci viennent à mourir. »