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l’exaltation et la fureur sont arrivées à leur comble, le chef, auquel nul n’oserait désobéir, désigne une victime, le plus souvent une poule ou une chèvre, quelquefois un enfant. Elle est immédiatement égorgée, et tous s’empressent de boire son sang, de manger sa chair, celle de l’enfant comme celle de l’animal[1].

C’est aussi à un sentiment religieux étrangement perverti qu’il faut attribuer la puissance des sorciers, que l’on suppose en communication avec les dieux. Chez les peuples de l’extrême Nord de l’Amérique, ces sorciers erraient pendant des semaines dans les forêts les plus sombres. Rendus furieux par la solitude et la privation de nourriture, ils se précipitaient sur ceux qu’ils rencontraient et les déchiraient avec leurs dents. De semblables blessures étaient méritoires, aussi les plus courageux ou les plus dévots n’hésitaient-ils pas à se présenter à eux et à souffrir sans se plaindre leurs morsures. Chez les Nootkas, les sorciers ne se contentaient pas des vivans, ils déterraient les morts pour les dévorer. C’est en mangeant de la chair humaine, nous dit M. Eyre, un des hommes qui ont le mieux étudié les aborigènes de l’Australie, que les devins établissent leur néfaste influence.

La pensée d’une autre vie, cette pensée si fortifiante qui élève le cœur de l’homme au-delà des horizons bornés de son existence éphémère, au-delà des besoins matériels de chaque jour, se rencontre jusque chez les races les plus inférieures. Elle conduit les hommes à déposer dans la tombe du mort les armes qu’il portait, les outils de sa profession, des vases renfermant les provisions pour le grand voyage. Chez les Scythes comme chez les Peaux-Rouges, on égorgeait le cheval du chef pour le placer à côté de lui dans la sépulture ou sur le bûcher funéraire. De là aussi des sacrifices humains ; les femmes, les esclaves sont condamnés à une mort cruelle pour suivre leur chef dans le monde inconnu où il entrait; et souvent le chef avant de mourir prenait soin de désigner lui-même les serviteurs ou les concubines qui devaient l’accompagner. On cite sous les dolmens de l’Algérie des squelettes repliés sur eux-mêmes et, à côté d’eux, les crânes des malheureux immolés en leur honneur. A Kertch, en fouillant un tumulus connu sous le nom de Koulouba, la colline de cendres, on découvrit les restes mortels d’un roi entouré de ses femmes, de ses serviteurs, de son cheval. Le roi portait une couronne, un collier, des bracelets en or et en émail, indices de son rang, et à côté de lui reposait le glaive qui lui avait servi dans

  1. Ces faits ont été clairement prouvés dans un procès qui eut lieu à Port-au Prince en février 1864. Huit Vaudoux, hommes ou femmes, et parmi eux les chefs de la secte, furent condamnés à mort.