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du matin, menant de front de nombreuses affaires, supportant sans plier un travail écrasant.

Il est difficile, aux États-Unis, de se tenir hors de la politique. En entrant dans la vie active, il faut également entrer dans un parti. Les électeurs avaient déjà les yeux sur Cleveland, et c’est le parti démocratique qui réussit à l’enrôler dans ses rangs. Deux fois candidat malheureux pour des postes subalternes, il est enfin élu sheriff en 1870. Cette place lui donnait ce qui lui avait fait défaut jusqu’alors, du loisir et le moyen de réaliser quelques économies. Lorsqu’il en sortit pour reparaître au barreau de Buffalo, on vit en lui un autre homme, plus sûr de lui, jouissant d’une grande autorité dans sa profession et préparé à de plus hautes destinées. Six années de succès professionnels constans consacrèrent sa réputation solidement établie d’homme intègre, de travailleur infatigable, d’avocat érudit et éloquent. Ce n’était cependant qu’une réputation toute locale ; nul ne soupçonnait dans cet excellent et obscur praticien de province l’homme devant lequel allait bientôt sombrer pour un temps la fortune du parti républicain. L’occasion de sortir de l’ombre surgit en 1881. La corruption, dans le gouvernement municipal de Buffalo, ville républicaine, avait pris de telles proportions qu’un changement de régime parut nécessaire. Un grand nombre de républicains s’engagèrent à voter pour le candidat des démocrates si ceux-ci faisaient un bon choix. Les démocrates se tournèrent d’instinct vers M. Cleveland ; malgré l’opposition de quelques politiciens du parti, sa candidature fut adoptée par acclamation, et il fut élu maire avec 3,500 voix de majorité.

Investi de ses nouvelles fonctions le 1er janvier 1882, il prit vigoureusement en main la tâche de correcteur des abus que ses concitoyens venaient de lui assigner. Tous les méfaits politiques, qu’ils eussent l’étiquette républicaine ou démocratique, trouvèrent en lui un adversaire impitoyable. Il était bien le réformateur que les circonstances réclamaient; sa renommée dépassa en peu de temps l’enceinte municipale, et le nom de Cleveland devint populaire dans tout l’état de New-York. Les démocrates étaient fiers de l’honnête homme qu’ils avaient découvert. Au mois de septembre de la même année, pas une voix n’osa protester dans la convention démocratique de Syracuse lorsque sa candidature fut proposée pour le poste de gouverneur de l’état.

La fortune politique, de M. Cleveland grandissait avec une singulière rapidité. Inconnu en 1881, il briguait en 1882 la plus haute fonction du plus puissant état de l’Union, et les circonstances spéciales qui entouraient cette lutte électorale allaient en outre tourner sur lui les yeux de toute la nation. C’est, en effet, des élections