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électorale infligée à la coterie des chefs républicains par une explosion d’indignation populaire, les détermina à opérer un changement de front immédiat et complet. L’éviction était proche ; il allait falloir abandonner le gouvernement. Le moment était propice pour jeter une dernière fois un peu de poudre républicaine aux yeux des électeurs et assurer du même coup l’inamovibilité à tous les fonctionnaires que le parti en se retirant allait laisser derrière lui dans les places. Ce fut une conversion des plus édifiantes. On ne voyait plus à Washington que républicains prêchant la réforme. Un bill traînait au sénat, depuis plusieurs mois, présenté par un démocrate, M. Pendleton, bill instituant un concours pour la nomination aux emplois et interdisant toute révocation pour motif politique. Les républicains s’en emparèrent, le discutèrent solennellement et, après l’avoir rajeuni et complété, le votèrent en janvier 1883 à une grande majorité, se faisant ainsi du meilleur article du programme de leurs adversaires un excellent diplôme de réformateurs.

Les démocrates furent très déconfits. La plupart d’entre eux, en acceptant le cri de guerre des indépendans, n’avaient jamais pris la réforme au sérieux, ou plutôt la reforme, pour eux, se ramenait à ces formules simples, mais significatives : « Épuration générale du personnel; nettoyer les écuries d’Augias; mettre les rascals (les républicains) à la porte. » C’était là, pour la masse du parti, te commencement et la fin de la sagesse réformatrice. Ils eurent très bien conscience que les républicains, sous couleur de réformer l’administration, étaient en train de leur jouer un très mauvais tour en leur fermant à l’avance toutes les places, c’est-à-dire l’accès des dépouilles, pour le jour où les clés du trésor fédéral passeraient aux mains des démocrates. Un sénateur de la Géorgie, M. Brown, exprima sans aucun doute le sentiment du plus grand nombre de ses coreligionnaires politiques le jour où il s’écria naïvement, au cours du débat sur les bills de réforme : « Je me demande quel intérêt le parti peut avoir à s’embarrasser d’un bill Pendleton ou autre qui pourra devenir une gêne sérieuse quand il s’agira de mettre tous les républicains hors des places pour y faire entrer les démocrates. »

Si M. Cleveland, président de l’Union, reste fidèle aux principes qui ont dirigé jusqu’ici sa vie et ses actes publics, il appliquera avec la plus grande sévérité la loi sur la réforme du service civil, bien qu’elle ait été votée par les républicains. Il tiendra tête à l’armée des solliciteurs, qui va envahir Washington, et refusera de livrer toute l’administration, comme une proie, aux faméliques du parti démocrate. Il épargnera ainsi à son pays et au monde le spectacle de ce changement de personnel jusque dans les plus