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pardon, qui marquait pour lui comme l’apogée de l’été. Dès le matin, en toilette, tenant son éventail et ayant apporté le perroquet dehors, il était assis devant sa porte, afin de voir et d’être vu. En passant, on regardait toujours ce vieux, dans son petit jardin, avec ses boucles d’or aux oreilles. Il n’y avait encore rien en lui qui pût prêter à sourire ; son aspect était raide et dur; ses yeux, qui autrefois changeaient tout cela parce qu’ils savaient être très doux, ne disaient plus rien à présent ; les paupières retombaient dessus, comme sur des lampes éteintes et désormais inutiles; les lignes de ce visage restaient seules, encore correctes, mais rigides, exagérées par le temps, et il ressemblait à la momie tannée d’un pirate.

Ensuite le soir, quand cette journée de fête était finie, quand les derniers groupes étaient passés, lui resté seul et le silence revenu, il était pris d’une tristesse plus désespérée. Encore un été!.. Et bientôt allait commencer l’hiver, avec les pluies, les nuits si longues et les douleurs. Encore un été évanoui, disparu avec tant d’autres, dans les abîmes qui n’ont pas de fond !

Il n’avait plus du tout envie de mourir maintenant, ah ! non ; il était trop vieux pour cela. Il se soignait encore davantage, se cramponnant à mains crispées au peu qui lui restait de vie.

Et pourtant, jamais ce temps qu’il voulait retenir n’avait glissé si vite. Il semblait que les durées n’existaient plus ; les jours, les mois, les saisons s’enfuyaient, s’enfuyaient sans trêve, avec les rapidités et les silences effroyables des choses qui tombent dans le vide.


XI.

Une année, il eut un avertissement qui lui fit très grand’peur.

En rêve, une nuit, il passait dans une de ces mers profondes, où on ne s’attend à rien voir; la surface en était si tranquille qu’on eût dit une plaque de marbre gris, immense comme un désert. C’était au crépuscule, lui étant de veille à l’avant d’un navire. A ses pieds dormait une femme asiatique dont il savait le nom, — Nam-Thèn, — et qu’il se rappelait avoir connue, autrefois et ailleurs. Ils glissaient mollement, sans inquiétude et sans bruit ; — mais tout à coup, là, très près, avaient surgi de ces choses qu’on appelle balise ou signal, et qui marquent aux marins les dangers invisibles de dessous les eaux.

Dans la vie réelle, en plein jour, il avait eu, trente ans auparavant, une surprise semblable. Il conduisait alors une jonque dans une de ces rivières de l’Indo-Chine qui serpentent pendant des