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dans un fauteuil en s’écriant : « Pauvre empereur ! mais f.. ! je l’ai échappé belle ! »

Ce cri de commisération, que le roi réprimait aussitôt, résumait la situation. L’Italie déplorait nos désastres, mais elle se sentait intacte, ses destinées n’étaient pas compromises. Les défaites de la France ouvraient à son ambition de vastes horizons : l’audace pouvait désormais sans péril se substituer à la prudence.

Le lendemain, à la première heure, M. Visconti-Venosta se présentait à la légation de France ; il apprit en termes émus à notre ministre le double coup que nous portait la fortune dans les plaines de l’Alsace et sur les confins de la Lorraine. Ses regrets étaient sincères ; il se rappelait le temps où l’Italie subissait la domination étrangère et il voyait la France qui l’avait affranchie envahie par les armées allemandes[1] ! La politique ne sacrifie pas toujours aux pensées égoïstes ; il n’est pas dit que Machiavel et Guichardin n’aient pas compati au malheur d’autrui.


XI

La cour de Rome fut atterrée par nos désastres ; elle comprit que les destinées de l’empire et celles du pouvoir temporel se jouaient sur les mêmes champs de bataille. Elle en avait voulu mortellement à Napoléon III du retrait de notre corps expéditionnaire ; elle ne pouvait croire à cet abandon, après ses assurances et après le mot de M. Rouher. Elle avait opposé aux explications que notre ambassadeur était chargé de lui donner, pour justifier notre retour pur et simple à la convention du 15 septembre, une dignité froide et un courroux mal dissimulé. « Le cardinal, écrivait le marquis de Banneville à la date du 22 juillet, malgré l’empire qu’il exerce sur lui-même, n’a pas pu me cacher sa consternation. Il n’avait rien à répondre, m’a-t-il dit, à une résolution qu’il était appelé à subir et non à discuter. Il avait eu tort de croire que la France pourrait peut-être, sans s’affaiblir, laisser au pape la protection de son drapeau[2]. L’expérience du passé, a ajouté le cardinal, autorise le saint-siège à n’accorder aucune confiance aux engagemens de l’Italie. Il ne reste plus au gouvernement pontifical, après vos

  1. M. Visconti-Venosta était Lombard. C’est en Lombardie qu’en souvenir de la délivrance autrichienne les sympathies pour la France sont restées les plus vivaces.
  2. Toutes les influences dont disposait l’église s’étaient exercées à la cour des Tuileries pour faire revenir l’empereur sur sa décision. Le cardinal Bonaparte avait écrit à l’impératrice pour la supplier qu’on laissât du moins, pour la protection du saint-père, le drapeau de la France. — L’impératrice ne put que lui répondre : « Priez et faites prier pour nous ! »