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absolue sur la question romaine. Il y a là une tradition de la politique française qu’il n’est pas bon d’abandonner trop facilement. J’eusse préféré, dans l’intérêt de nos résolutions futures, qu’il est difficile de préjuger, que vous eussiez conservé une grande réserve. Nos rapports sont complexes vis-à-vis de Rome et de l’Italie, de l’Europe et même de l’Orient, où nous sommes les protecteurs des catholiques. Je vous prie donc de conserver sur ce sujet la plus grande prudence, et de ne pas engager la parole de la France avant qu’elle puisse être consultée, d’autant plus qu’il pourra peut-être nous être nécessaire de ne pas céder trop facilement à l’Italie des avantages importans sans être certains de pouvoir compter sur elle[1]. »

Ce n’étaient ni l’esprit ni le cœur, — il l’avait sur la main, — qui manquaient à M. Senard, c’était l’expérience. Il était une des illustrations du barreau de Paris : il avait plaidé maints procès célèbres et il les avait gagnés. Il espérait qu’en mettant son éloquence et son dévoûment patriotique au service de la république, il gagnerait la cause qui lui était chère avant toutes : celle de son pays. Ce fut son erreur. Il le reconnut, du reste, bien vite, et, dès qu’il s’en aperçut, il demanda loyalement à être relevé sans retard d’une faction périlleuse.


XIX

Le ministre de la république, dès son arrivée à Florence, s’était abouché avec quelques membres avancés de la chambre ; il recrutait avec leur concours, dans les rangs de la révolution, des auxiliaires qui, sous le commandement de Garibaldi, devaient s’associer à notre défense[2]. La délégation de Tours le voyait avec un vif

  1. M. Senard répondit qu’il était convenu avec M. Favre qu’il saisirait la première occasion pour déclarer au gouvernement italien que, s’il n’avait pas officiellement dénoncé la convention du 15 septembre, c’est parce qu’il avait été entendu avec M. Nigra, que par le fait même de la déchéance de l’empire, la convention avait virtuellement cessé d’exister. Étrange théorie qui, à chaque révolution, remettait en question les traités antérieurement conclus ! « Ma lettre au roi, ajoutait M. Senard, m’a valu des remercîmens enthousiastes ; elle m’a rendu ma tâche facile. »
  2. Le mouvement s’accentua de tous côtés. Les volontaires se présentèrent en masse. Malheureusement, à côté d’hommes de bonne volonté, il s’en trouva qui ne voyaient dans l’enrôlement qu’une occasion de faire un voyage gratuit en France. Il se présenta même des enfans dont les parens venaient accuser M. Senard de subornation. Il y eut des scènes fâcheuses à la légation. M. Senard dut abandonner à un ancien officier garibaldien, le major Lobbis, le soin de contrôler les volontaires et de les diriger sur la France. Mais bientôt le gouvernement italien dut intervenir sur les réclamations de la Prusse. L’ordre fut donné de ne plus laisser embarquer sans passeport italien. On s’en remit alors à un député, M. Mauro-Macchi, pour déjouer la surveillance des autorités locales et organiser les départs.