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deux traits de vif-argent prolongés à l’infini. Qui de nous, durant les heures d’attente oisive dans une gare, n’est parti en imagination sur les quatre raies, droites et brillantes, qui courent vers les pays inconnus, comme une portée de musique pour les rêves ? Ce soir, le chemin de lumière est bien plus tentant ; il va se perdre au cœur même du soleil. Il n’y aurait qu’à le suivre, semble-t-il, pour rejoindre l’éternel voyageur. Le temps de désirer, et voilà le chemin rompu ; l’astre a doucement glissé sous la terre. Adieu, vieux et bon magicien, porteur d’aurores ! Tu vas montrer tes féeries à tous les peuples de l’univers avant de nous revenir demain ; tu vas boire la rosée des champs d’Asie et sécher des larmes chez les hommes de là-bas. Oh ! que les hymnes d’Egypte ont bien parlé de lui ! « Tu t’éveilles bienfaisant, Ammon-Râ, tu t’éveilles véridique ; tu avances, seigneur de l’éternité, et ceux qui sont goûtent les souffles de la vie… Tu es béni de toute créature… » — Bienfaisant et prévoyant ; la pierre noire qu’on extrait de cette terre, qu’est-ce autre chose que la lente et séculaire aumône du soleil ? Il sait qu’il y aura des jours gris, des jours mauvais qui le sépareront de sa pauvre petite suivante ; en prévision de ces jours-là, il accumule au cours des âges un trésor dans la terre, il y dépose chaque soir un peu de sa triple vertu, de sa chaleur, de sa lumière et de sa force. Le charbon, c’est la caisse d’épargne du soleil. Ce feu qui réchauffe et éclaire le pauvre, cette âme obscure qui sort des puits de mine pour mettre en mouvement nos métiers, c’est encore lui, caché sous un masque de ténèbres. « Il donne le mouvement à toutes choses ; par son action dans l’abîme ont été créées les délices de la lumière,.. » dit toujours l’hymne prophétique de Thèbes. Les anciens voyaient plus loin que nous. Ce que nous appelons actions chimiques, transformations de forces, c’était pour eux la loi d’amour et de charité qui oblige toute la création ; les choses inanimées ! pratiquent tout comme les hommes, et le maître visible de l’univers nous en donne l’exemple.

L’air assombri est si limpide, le relief des objets lointains si vigoureux, que je pense naturellement à l’Egypte, devant des phénomènes tout semblables à ceux qu’elle offre. Des bergers cosaques, montés sur leurs maigres chevaux, passent au bout de l’horizon ; leurs silhouettes s’enlèvent en noir sur la rougeur du ciel ; telles s’accusent les formes grêles des chameaux qui suivent la levée du Nil, quand on revient de Choubra, le soir, à l’heure du bersim, La nuit tombe, des feux s’allument dans les profondeurs de la steppe, feux d’usines, feux des pâtres, gardiens des chevaux du Don ; foyers confondus dans l’ombre, rapprochés dans l’espace, séparés par un gros de siècles.

Lougansk est une assez jolie ville, tête de ligne actuelle des