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LA FIN
D’UNE
GRANDE MARINE

I.
LES CHIOURMES ENCHAINEES.


I.

Nous calomnions trop notre époque : elle a sans doute ses mauvais côtés, il faut bien avouer cependant que la masse du genre humain ne gagnerait rien à retourner de deux ou trois siècles en arrière. Pour le marin surtout le progrès a été sensible. L’abolition des châtimens corporels, en dépouillant le commandement de sa brutalité, a rendu celui qui le subit moins brutal et moins grossier lui-même : le cheval qu’on bat devient facilement rétif. Ce n’est pourtant pas à bord des naves et des galions qu’apparaît dans toute sa naïveté féroce l’horreur d’une discipline qui a résisté, — tant est grande la force de l’habitude, — à bien des assauts. Là du moins, on est tenu de compter avec l’intelligence de l’homme ; il ne faut pas, par de trop durs traitemens, le comprimer au point de n’en faire qu’une machine inerte : sur les bâtimens à rames on n’a besoin que des bras de la chiourme ; il s’agit de porter l’action musculaire à son paroxysme. On l’obtient à l’aide du bâton : hideux spectacle qui fut donné au monde pendant trois cents ans.