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pas de figure humaine. Le dévot Denys d’Halicarnasse, fort embarrassé entre ces affirmations contraires, s’en tire en disant qu’il ne faut pas parler de ce que les dieux ne permettent pas qu’on sache. D’ailleurs on n’avait pas besoin de les connaître pour les respecter : ils avaient accompli des miracles qui prouvaient leur puissance. On disait que deux jeunes filles, deux vestales sans doute, étant venues dormir dans leur temple pour être justifiées de certains reproches qu’on leur adressait, l’une des deux, qui n’était pas tout à fait sans tâche, fut, pendant la nuit, frappée de la foudre, tandis que l’autre dormit à ses côtés sans s’éveiller. Il y avait encore à Lavinium d’autres édifices religieux qui, naturellement, prétendaient tous remonter jusqu’à l’époque d’Énée ; on montrait aussi son tombeau dans la campagne : « C’est, dit Denys, un petit tertre, autour duquel on a planté des arbres disposés avec un ordre admirable et qui méritent d’être vus. » Sur le forum de la ville, des statues d’airain rappelaient quelques-unes des légendes qui avaient annoncé ses destinées. Comme on pense bien, la fameuse laie, avec ses trente petits, n’y était pas oubliée. Il était souvent question d’elle à Lavinium : on croyait posséder la cabane dans laquelle Énée l’avait immolée ; ce qui était encore plus extraordinaire, c’est que les prêtres la montraient elle-même aux visiteurs conservée dans de la saumure. On voit que le culte des reliques date de loin en Italie.

Les villes saintes sont, en général, des villes tristes : on y est si occupé des intérêts sacrés qu’on y néglige les agrémens mondains ; elles manquent d’ordinaire d’animation et de gaîté. Lavinium ne devait pas faire exception à la règle commune. La vieille ville avait pourtant ses jours de fête ; tous les ans, à des époques fixes, des prêtres y arrivaient de Rome pour célébrer d’antiques cérémonies ; les premiers magistrats de la république, les dictateurs, les consuls, les préteurs venaient y sacrifier aux Pénates quand ils entraient en charge. Un général n’aurait pas entrepris une grande expédition militaire sans être allé y consulter d’abord les dieux. On racontait que, quand le consul Hostilius Mancinus vint y prendre les augures avant de partir pour l’Espagne, les poulets sacrés se sauvèrent dans le bois ; le consul ne tint pas compte de l’avertissement et alla se faire battre par les Lusitaniens. Mais, en dehors de ces occasions solennelles, qui ranimaient la ville de temps en temps, il est probable que la vie y était très monotone et qu’elle dépérissait tous les jours. On ne sait à quelle époque ni à la suite de quels événemens elle fut réunie à sa voisine, Luurente, l’antique cité de Latinus, qui, à côté d’elle, achevait de mourir. Dès lors ses citoyens prirent le nom de Laurentes Lavinates, et elle fut quelquefois appelée elle-même Laurolavinium. Les inscriptions nous montrent que les empereurs firent quelques offerts pour arrêter sa décadence. C’étaient