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n’ai pas de peine à croire que j’ai devant les yeux les descendans des Marses, des Èques, des Samnites, de tous ces rudes montagnards que Rome a si difficilement vaincus et qui l’ont aidée ensuite à vaincre le monde.

La tour qui s’élève au milieu du palais des Borghèse est une des curiosités de Pratica. On l’aperçoit de partout, et elle sert aux pâtres et aux voyageurs pour se diriger dans un pays où l’on ne trouve pas toujours de chemin tracé. On l’a sans doute construite pour surveiller les environs à l’époque où l’on avait à craindre les attaques imprévues des pirates, et elle permet de plonger dans les replis des vallées et d’observer tout le rivage, d’Ostie à Porto-d’Anzio. Du dernier étage, la vue est merveilleuse ; mais je ne veux pas me laisser aller à l’admirer en curieux. Quelque charme qu’on éprouve de ces endroits élevés à jeter les yeux au loin, et quoiqu’ici le spectacle de ces belles lignes de montagnes qui ferment l’horizon présente une incomparable grandeur, j’avoue que je suis plutôt tenté de regarder à mes pieds. C’est un intérêt tout historique qui m’occupe ; je songe à Rome, dont je distingue les clochers et les maisons, et je cherche à suivre d’ici les étapes de sa fortune naissante. Cette terre, qui de tous les côtés m’entoure, c’est le Latium, le vieux Latium, comme on l’appelait, habité par les anciens Latins (Latium vetus, Prisci Latini). C’est là, suivant une expression célèbre, que Rome a poussé ses premières racines : ex hac tenui radice crevit imperium ; c’est dans cette petite contrée que les Romains ont dû prendre leurs qualités d’origine ; je l’embrasse tout entière, et, pendant que je l’examine avec soin, je me demande s’il n’y a rien, dans la configuration du sol et la nature du pays, qui puisse expliquer le caractère des habitans.

De cette hauteur, d’où les accidens de terrains disparaissent, le Latium me paraît être une vaste plaine presque unie. En la regardant, il me revient à l’esprit une réflexion de Schwegler, dont il a su tirer des conclusions importantes. Il fait remarquer combien cette plaine paraît d’abord facile à parcourir et accessible à l’étranger. Vers le sud, je ne vois ni montagne, ni rivière, qui la séparent des Volsques ; au nord, elle est baignée par un fleuve navigable ; la mer la Rome à l’ouest et elle y possède une longue suite de côtes. Les anciens avaient déjà observé que les pays riverains de la mer sont ceux qui arrivent le plus vite à une civilisation brillante, mais qu’en général ils paient ces progrès rapides par une corruption précoce. Il Ils sont prompts aux changemens, dit Cicéron, avides de nouveauté. Ils écoutent volontiers tous ces voyageurs qui leur apportent leurs idées et leurs usages en même temps que leurs marchandises. Ils finissent par ressembler à ces îles de Grèce,