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le gaspillage des deniers publics, le désordre qui règne dans les esprits. A toutes ces causes la protection ne peut rien, et c’est ailleurs qu’il faut en chercher le remède. On le trouvera quand on voudra. Il faut le dire et le répéter sans cesse, la protection a fait son temps ; elle a actuellement un regain de faveur, mais il ne peut être que momentané. Si l’on a créé des lignes de navigation, construit des chemins de fer, percé des isthmes et creusé des montagnes, c’est pour que les produits puissent circuler d’une extrémité du monde à l’autre ; si l’on a supprimé les obstacles naturels, ce n’est pas pour les remplacer par les obstacles artificiels établis aux frontières. Le marché du monde est aujourd’hui ouvert à tous ; il faut que chacun puisse aller chercher sur tous les points les produits dont il a besoin et qu’il s’ingénie à fabriquer chez lui ceux qu’il pourra donner en échange.

La Sicile, dont cette discussion nous a un peu écartés, est mieux partagée que nous sous le rapport des produits du sol, pour plusieurs desquels elle exerce un véritable monopole. L’avenir est à elle. Elle a tout ce qu’il faut pour n’être inférieure à aucun pays. Toutes les industries peuvent y fleurir, son climat se prête aux productions les plus variées, son monde souterrain est plein de trésors ; il ne dépend que d’elle de mettre en valeur tous ces élémens de richesse et de prospérité. Elle a joué dans l’histoire un rôle trop considérable pour ne pas tenir à honneur de reprendre sa place au premier rang. Sa civilisation a brillé dans l’antiquité comme un phare ; elle a eu ses poètes et ses savans qui ajoutaient la splendeur morale à la splendeur matérielle de ses villes ; plus tard elle devint le grenier de l’Italie ; elle fut la première, sous la domination arabe, à sortir de l’obscurité où l’invasion des barbares avait plongé l’Europe ; sa prospérité ne diminua pas sous les rois normands, qui la dotèrent d’un gouvernement représentatif. Depuis lors, elle s’est laissé devancer, mais il lui sera facile de regagner le terrain perdu, car elle possède des hommes distingués qui s’appliquent avec ardeur à mettre en action toutes ses forces vives ; le reste est l’affaire du gouvernement. Assurer la sécurité des campagnes, dissiper l’ignorance des masses, ouvrir des voies de communication, faciliter les transactions extérieures, telle doit être sa mission, et il n’y faillira pas.


J. CLAVE.