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Ce que peut être un livre dont la Préface est ce qu’on vient de dire, le lecteur l’a deviné sans doute, mais il faut qu’il le voie maintenant de plus près. Écrivain médiocre, esprit confus, « le plus érudit et le plus ingénieux des moliéristes, » — c’est Edouard Fournier que je veux dire et c’est Paul Lacroix qui le célèbre en ces termes, — connaissait assez mal Molière et n’en a jamais convenablement parlé. Que d’ailleurs il parlât de Molière et de La Bruyère, il appartenait toujours à cette déplorable école qui mêle le roman à l’histoire et dont le rêve, il y a quelque trente ans, fut d’importer dans la critique les libres procédés de l’auteur des Trois Mousquetaires. Cela consiste à s’assurer dans la réalité de l’histoire quelques points de repère, — un ou deux faits, trois ou quatre dates, cinq ou six noms fameux, — et remplir les intervalles à grands frais d’inventions romanesques. Supposé donc qu’il convienne à Edouard Fournier de mettre Molière en rapports avec le cardinal de Retz, un bout de phrase en fera l’affaire. « Au lieu des trois bans exigés pour tous les mariages, on obtint, par grâce spéciale du cardinal de Retz, ami de Molière et alors archevêque de Paris, qu’un seul serait publié. » Il n’oublie que de se demander où Molière, en 1662, pouvait bien prendre le cardinal, exilé depuis 1654, non-seulement de Paris, mais de France, et dépouillé d’ailleurs de l’administration de son diocèse. Mais les moliéristes ne font pas profession de connaître l’histoire du cardinal de Retz. Il plaît au même, en un autre endroit, d’inscrire Bossuet parmi ceux qui travaillèrent contre Tartuffe et d’imaginer une revanche de Molière contre Bossuet. « Dans la scène de la leçon de philosophie du Bourgeois gentilhomme, Molière ose s’en prendre à la méthode qu’on avait suivie pour l’éducation du dauphin et, par là, se moquer de Bossuet, oui, de Bossuet lui-même. » Bien plus fort que ne le croit le plus érudit des moliéristes, l’auteur du Bourgeois gentilhomme s’en serait pris, s’il y avait ici la moindre apparence de vérité, non pas à la méthode que l’on avait suivie pour l’éducation du dauphin, mais à celle que l’on allait suivre. Car le Bourgeois gentilhomme fut donné pour la première fois à Chambord le 14 octobre 1670. Or la nomination de Bossuet à ses fonctions de précepteur n’était déclarée que du 5 septembre de cette année même ; et quant à Géraud de Cordemoy, l’auteur de ce Discours physique de la parole dont s’est tant amusé Molière, il ne devint lecteur du dauphin qu’en 1673, — après la mort de Molière. Mais les moliéristes ne font pas profession de connaître l’histoire de Bossuet.

Conséquens d’ailleurs avec eux-mêmes, s’ils aiment à introduire la fable dans l’histoire de Molière, ils tiennent à y conserver la légende, quand ils l’y trouvent, ce qui ne laisse pas d’être encore trop fréquent. Aussi l’indignation d’Edouard Fournier fut-elle vive quand Eugène Despois s’avisa de contester la fameuse historiette qui nous montre