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Ce qui n’est pas non plus assurément le régime parlementaire sérieux et sincère, c’est la manière dont on procède dans les finances, c’est ce singulier système qui, en déplaçant ou en confondant toutes les responsabilités, laisse le pays sans garantie. Et d’abord il y a une dangereuse habitude qui s’est introduite depuis quelques années dans la chambre des députés, qui est évidemment de nature à affaiblir toutes les conditions de régularité et de contrôle, toutes les garanties préservatrices dans l’administration financière. Le budget est toujours présenté au commencement de l’année, au début de la session de janvier. Une commission a certes tout le temps nécessaire pour étudier la situation financière, pour préparer le budget et le soumettre pendant l’été à la délibération publique. Cependant, il n’en est jamais ainsi, soit par un calcul de défiance, soit par une assez puérile jalousie de prépotence de la part de la chambre et de sa commission, le budget est invariablement ajourné à la session extraordinaire, aux dernières semaines de l’année. La discussion s’ouvre au mois de novembre, au mois de décembre, toujours tardivement, comme on le voit encore aujourd’hui. Il en résulte qu’au dernier moment il faut se hâter, qu’on doit expédier au pas de course, en quelques séances, un budget de plus de 3 milliards, que le sénat n’a plus ni le temps ni la liberté d’exercer son utile contrôle, et c’est une première altération du régime parlementaire. De plus, cette commission, qui retient le budget pendant près d’une année, comprend singulièrement son rôle. Elle se substitue au gouvernement, elle introduit ses fantaisies et ses combinaisons dans tout un système financier, elle prétend à l’omnipotence sur les ressources et les dépenses publiques. Elle abuse de son droit au point de fausser tous les ressorts de l’administration générale, et, avec ces prétentions, arrive-t-elle du moins à un résultat sensible, utile ? Elle n’arrive absolument à rien. Elle a beau être satisfaite d’elle-même, elle ne réussit pas à remédier au déficit, qui est la vraie plaie de nos finances, que les dernières discussions ont rendu plus évident, et qui a justement cela de dangereux, qu’il tient à des idées fausses, à des calculs de parti, à tout un système politique qui a déchaîné les dépenses publiques. Au milieu de tout cela, s’il y a un homme embarrassé et à plaindre, c’est M. le ministre des finances. M. Tirard est, certes, un honnête administrateur. Il voit le mal, on le sent à son langage, et il voudrait bien l’arrêter, s’il le pouvait ; il est tout près d’être de l’avis de M. Ribot, qui lui montre qu’il ne se tirera d’embarras que par une sérieuse et sévère liquidation. Il ne voudrait pas, d’un autre côté, contrarier ses amis les républicains, qui lui créent tant de difficultés. Il a les meilleures intentions, mais il ne voudrait pas se brouiller avec la commission. Le résultat est que le déficit était dans le budget de l’année dernière, qu’il est dans le budget de cette année, qu’il sera dans le budget de l’année