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En réalité, le parlement nouveau, tel qu’il reste définitivement composé après les derniers scrutins, est certes passablement incohérent. De majorité il n’y en a pas, il y en a décidément moins que jamais. Le gouvernement n’a pas plus de 155 voix ministérielles assurées, ce qui ne suffit pas. Les catholiques du centre sont revenus au nombre de 110 et forment un camp à part ; ils ne donneront leurs suffrages que si on leur fait des concessions. Les progressistes ou libéraux allemands, qui ont été les plus éprouvés dans les élections, ont encore un contingent respectable, mais insuffisant ; les socialistes, qui ont un succès imprévu, vont avoir 25 voix au parlement. Avec ces élémens discordans, comment former une majorité ? M. de Bismarck, il est vrai, n’en a pas grand souci : ses théories et ses sentimens sont connus. Il dédaigne les artifices parlementaires, et c’est avec une désinvolture superbe et ironique qu’il fait le dénombrement de tous ces partis ou fragmens de partis dont il trace le portrait à sa manière. Il ne tient pas du tout à l’existence d’une majorité constituée dans le Reichstag. C’est, en effet, plus commode pour un tout-puissant comme lui qui met son orgueil à se jouer des partis, même de ce qui peut s’appeler le parti ministériel. C’est pourtant aussi une faiblesse, et le chancelier de Berlin vient d’en faire l’expérience ces jours derniers encore. Bien qu’il ait payé de sa personne devant son parlement, et qu’il ait prononcé jusqu’à trois discours, maltraitant un peu tout le monde, il n’a pu empêcher le vote d’une motion, appuyée à la fois par les progressistes et par les catholiques, au sujet de l’allocation d’une indemnité aux membres du Reichstag pendant les sessions. Il ne pourra pas non plus vraisemblablement, un de ces jours, empêcher le vote d’une proposition de M. Windthorst, appuyée par les progressistes, au sujet de l’abrogation d’une des dispositions les plus rigoureuses des lois de mai. M. de Bismarck, qui n’est pas embarrassé pour si peu, aura sans doute la ressource de faire rejeter ces propositions par le conseil fédéral, il fera ce qu’il a déjà fait plus d’une fois. Faute d’une majorité qu’il dédaigne de se créer, il ne commence pas moins déjà par des échecs avec un parlement né d’hier, et, avec ces procédés, il se prépare inévitablement de singulières difficultés pour le moment où il aura à défendre soit les mesures économiques qu’il médite, soit de nouveaux impôts, ou ces réformes sociales dont l’empereur Guillaume parlait l’autre jour. C’est une sorte de conflit perpétuel où le chancelier, on peut bien le croire, voudra avoir le dernier mot, et où il ne peut pas cependant suppléer indéfiniment par son omnipotence à un vote du parlement. Voilà un étrange début de session avec une chambre nouvelle et une manière d’entendre le régime parlementaire que tout le monde heureusement n’est pas en état de pratiquer.

Assurément le régime parlementaire n’est pas plus facile qu’un autre ; il a du moins cet avantage, quand il est pratiqué avec