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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/77

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de La Penne, travaille avec assiduité les jours ouvriers, afin de pouvoir, les dimanches et fêtes, boire en un jour tout ce qu’elle a gagné pendant la semaine. Quelque soin que l’on prenne, on ne saurait l’empêcher de faire plus de dépense en vin qu’en vivres. Aussi voit-on peu de forçats devenir riches. » À fabriquer des bas, des camisoles, des dés, des broches et autres objets analogues, il est difficile en effet d’acquérir une grande opulence, surtout lorsqu’on doit, par ces petits travaux, suppléer à une ration de biscuit et d’eau, ration, nous avoue le rigide capitaine Pantero Pantera, « notoirement insuffisante. »

Ce qui, bien plus que ses excès de table, empêchera toujours, en dépit de ses petites industries, le pauvre galérien de s’enrichir, c’est qu’il se trouve, sur son banc de misère, en butte à des exactions de toute sorte. Chacun s’ingénie à le voler. Les taverniers sont eux-mêmes des forçats : ils vendent tout ce qui peut être nécessaire à des galériens. « Leurs mets, nous dit le capitaine Barras de La Penne, n’étant pas délicieux, ne sont pas d’un grand prix. Les tavernes, ajoute-t-il, ont donc leur utilité ; seulement, il ne faut pas permettre que les officiers y prennent un intérêt. » Depuis le temps où Démosthène portait ses plaintes à la tribune du Pnyx jusqu’à celui où Suffren commandait dans les mers de l’Inde, cette tendance des officiers de marine à se livrer à des opérations commerciales n’a cessé d’être signalée et rigoureusement poursuivie. Midias, qu’on voit, dans une des escadres d’Athènes, rester volontairement en arrière pour charger son bâtiment de bois, de pieux, de bétail et d’autres objets, n’est que le précurseur de ces pacotilleurs contre lesquels, pendant deux cents ans, tonneront nos ministres.

Le goût de la pacotille n’est guère compatible avec la noble profession des armes ; les abus qui peuvent en résulter ne sauraient cependant avoir de bien graves conséquences : il en est autrement quand, sous le nom de provéditeur, de sénéchal ou de petentarius, celui qui tient la bourse du prince en profite pour distribuer de mauvaises rations, des vivres falsifiés, de la viande provenant d’animaux malades ou du fromage pourri ; quand cet intendant infidèle, au lieu d’habiller la chiourme aux époques voulues et de lui fournir les vêtemens réglementaires, se rend coupable des fraudes les plus indignes, trompant à la fois sur la durée réglementaire des effets, sur la mesure et sur la qualité des étoffes. On a vu des payeurs, plus effrontés encore, chercher à faire passer, dans le paiement de la solde, de la monnaie de mauvais aloi ou des pièces rognées.

Les prévarications des payeurs et des provéditeurs n’atteignent le forçat que dans son bien-être, l’avidité des argousins lui inflige d’intolérables tourmens. L’argousin, — aguzino, — a la garde de la chiourme. Sur nos vaisseaux modernes, avec des équipages