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Lacordaire, abandonnait la chaire de Notre-Dame et, bientôt après, Paris et la prédication. Il sentait, lui aussi, sans qu’on lui eût formellement interdit la parole, que sa voix avait quelque chose de trop vibrant pour le voisinage des Tuileries, de trop strident pour la nouvelle ère impériale.

Le nouveau régime se piquait de protéger la religion, mais cette protection même inspirait peu de confiance à la plupart de ceux qui se souvenaient de la restauration et des périls d’une étroite alliance du trône et de l’autel. Dès le 3 décembre 1852, dans un mandement épiscopal, M. Dupanloup, un de ces hommes auxquels aucun régime n’eût pu fermer la bouche, demandait pour l’église « la seule chose qui ne la compromît jamais, la liberté, » ajoutant, non sans intention, qu’il n’y avait pas moins d’honneur pour elle « à garder sa liberté sous Constantin, qui la protégeait, qu’à se montrer héroïque sous Dioclétien, qui la persécutait. » Les laïques, à plus forte raison, sous la direction de M. de Falloux et de Montalembert, ne dissimulaient pas qu’ils n’avaient de confiance dans la liberté religieuse que lorsqu’elle était assurée par les libertés générales. Les anciens chefs du parti catholique se trouvaient ainsi, comme sous Louis-Philippe, mais en de bien autres conditions, rejetés dans l’opposition et, comme sous la république, enchaînés à l’alliance des libéraux, dont l’Univers leur faisait, dès 1849, un crime.


II

Pendant toute la durée du second empire, la lutte entre les deux fractions du camp catholique devait continuer avec des armes inégales, les libéraux, privés du grand instrument de la polémique moderne, n’ayant aucun journal quotidien à opposer aux ultras. Grâce à ce défaut de concurrence et à la tacite complicité du gouvernement impérial, l’organe attitré du servilisme politique et religieux, le champion de la théocratie entée sur le césarisme, s’empara peu à peu dans l’église de France d’une véritable dictature. Le clergé, qui avait longtemps témoigné tant de défiance pour la presse, en devint en quelque sorte le prisonnier. Nulle part elle n’a exercé une autorité plus absolue et moins discrète. L’Univers avait repris les procédés et les méthodes de l’Avenir en en répudiant les doctrines. Non moins que La Mennais en 1830, il prétendait, inconsciemment peut-être, gouverner l’épiscopat et dominer l’église, parlant avec la même hauteur une langue presque aussi éloquente, plus souple et plus vive, mais dont le ton moqueur et le tour trivial semblaient souvent déplacés sous le portique du temple. Et