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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/818

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qu’en fait, dans la sphère concrète, l’église n’a jamais condamné aucune forme de gouvernement ni aucune constitution politique.

C’est par cette réflexion que l’évêque d’Orléans terminait sa défense du Syllabus, et, quelque réserve que pût susciter tel ou tel point de son argumentation, quelque défiance que dût inspirer la conduite des catholiques au pouvoir en telle ou telle circonstance, il était malaisé pour les esprits non prévenus, pour les esprits libéraux notamment, avant tout préoccupés des intérêts de la liberté et soucieux de ne lui aliéner personne, de ne pas se féliciter de pareilles conclusions. Sur le terrain des faits, disait l’interprète ecclésiastique, dans la sphère pratique, nous pouvons nous entendre : n’est-ce pas là l’essentiel ? Il ne s’agit pas de décider si, aux yeux de l’église, les constitutions politiques reposent sur des déclarations de principes vraies ou erronées. La question est de savoir si les catholiques peuvent accepter les libertés politiques modernes comme des lois ou des institutions amenées par les nécessités d’un temps ou d’un pays : or, à ce titre, où le Syllabus, où l’Encyclique les condamnent-ils ? Nulle part.

Une telle interprétation, qui n’était en réalité qu’une glose éloquente de thèses déjà anciennes, ne pouvait plaire aux violons d’aucun parti, ni à ceux qui prétendaient anathématiser la société moderne, ni à ceux qui voulaient excommunier le catholicisme de la civilisation. Aussi les uns et les autres déclarèrent-ils à l’envi que l’évêque d’Orléans et ses amis n’avaient fait que défigurer les actes pontificaux. Les intransigeans de l’ultramontanisme ne se contentaient pas de traiter de timides les catholiques qui contestaient l’opportunité du Syllabus et d’habiles ceux qui essayaient d’en atténuer la portée ; ils mettaient une telle passion à soutenir sur ce point les ennemis avérés de l’église, à fermer toute porte de sortie aux apologistes ecclésiastiques, qu’ils flétrirent l’interprétation de M. Dupanloup du nom d’Antisyllabus. Comme s’ils n’eussent eu d’autre but que de révolter la raison et de scandaliser les peuples, ils maintenaient que tout libéral tombait nécessairement sous la réprobation de l’encyclique, que le libéralisme pouvait être comparé au manichéisme, qu’en aucun sens un catholique ne pouvait être ni se dire libéral. Ils tenaient à ce que, pour les fidèles, ce libéralisme détesté ne fût pas une affaire d’opinion politique, mais une affaire de dogme, persistant à contraindre les adversaires de l’Univers, les catholiques dits libéraux, à reconnaître leurs doctrines dans les propositions censurées[1].

  1. Ceux-ci, Montalembert tout le premier, se défendaient d’avoir jamais soutenu les libertés modernes dans le sens condamné par le Syllabus, et renvoyaient ce reproche à l’Univers d’avant 1849.