Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/837

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes d’état qui s’en étaient montrés les plus inquiets en ont vite pris leur parti, et l’on a vu les Bismarck et les Gladstone, après avoir affiché les craintes que leur inspirait l’autocratie pontificale, chercher à foire tourner au profit de leur politique, en Allemagne ou en Irlande, cette omnipotence papale dent ils avaient dénoncé les périls pour le pouvoir civil[1]. Bien plus, les infaillibilités peuvent se vanter d’avoir raffermi la charpente séculaire de l’église, consolidé tout le vieil édifice catholique en fortifiant la papauté, qui en est la clé de voûte et la maîtresse pièce. Au moment où le successeur de Pierre allait perdre son sceptre temporel, ils lui ont assuré une couronne que ni révolution, ni conquérant ne lui sauraient arracher. À l’heure où l’église, dépouillée de ses états territoriaux, ayant cessé de régner en souveraine sur sa capitale, pouvait sembler exposée aux divisions intestines et aux schismes nationaux, ils en ont étroitement resserré et pour ainsi dire vissé l’unité, si bien que l’église n’a jamais été plus papale et plus romaine, que depuis le jour où Rome a cessé d’appartenir au saint-siège. C’est une chose en effet digne de remarque, que l’année où le pape a été officiellement reconnu infaillible a été l’année où le saint-siège a perdu sa royauté dix fois séculaire. Dans la concordance de ces deux fait ; dont l’un atténue singulièrement les conséquences de l’autre, les ultramontains sont libres de montrer le doigt de la Providence, qui n’a laissé tomber la petite monarchie italienne des papes qu’après avoir assuré leur monarchie spirituelle et affermi leur empire dans l’église. Il est vrai que les promoteurs de la définition, loin de s’attendre à la chute du trône temporel de Pie IX, s’imaginaient le fortifier et l’étayer avec l’infaillibilité ; mais n’est-ce pas ainsi d’ordinaire, en aveugles inconsciens de l’œuvre à laquelle leurs mains travaillent, que les hommes sont les instrumens des desseins de la Providence ?

Toujours est-il (et tel est au point de vue politique le fait capital) que c’est au moment où les papes ont cessé de compter parmi les princes qu’ils sont devenus définitivement les monarques absolus de l’église ; c’est la veille du jour où ils ont perdu leurs minces états temporels, que d’un bout à l’autre du monde catholique ils ont vu toutes les vieilles résistances nationales abdiquer solennellement à leurs pieds, de façon qu’en réalité jamais le saint-siège n’a été plus puissant dans l’église, jamais il n’a plus régné sur les âmes que depuis qu’il a cessé de donner des lois aux bords du Tibre et que le pape vit en prisonnier au Vatican. Telle est, en somme, pour qui regarde les choses de haut, la principale

  1. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1883, le Vatican et le Quirinal depuis 1878.