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est en partie à d’autres, à ceux qui, se targuant du nom de libéraux ou de démocrates, arrêtent leur libéralisme à leurs amis et à Leurs doctrines ; à ceux dont l’exclusivisme sectaire entretient la répulsion des catholiques pour les libertés modernes et travaille à les dégoûter de la société contemporaine. Chose triste, et, par où l’on voit le peu de progrès des hommes, des partis et de l’esprit public, aujourd’hui tout comme il y a plus de cinquante ans, tout comme aux jours où La Mennais inscrivait en lettres d’or sur les bannières de l’église le mot de liberté, les défiances sont réciproques et, qui pis est, elles sont mutuellement fondées. Aujourd’hui de même qu’en 1830, le libéralisme se confond encore pour trop de catholiques avec la haine du catholicisme et, comme le disait alors La Mennais, « il faut avouer qu’on a peu fait pour les détromper de leur erreur[1]. »

Qu’on le célèbre dans la presse ou qu’on le grave sur les murailles, les catholiques se méfient du nom de liberté ; et ce même mot, sur leurs lèvres, n’inspire que défiance, depuis surtout qu’après l’avoir solennellement invoqué durant vingt ans, un grand nombre d’entre eux l’ont renié et désavoué. Ils provoquent autour d’eux un sourire incrédule, quand ils se reprennent à balbutier ce nom qu’ils ont trop longtemps désappris et qui, dans leur bouche, semble prendre un accent étranger. On sent que ce n’est pas leur langue qu’ils parlent ; s’ils s’essaient à la bégayer, la plupart le font sans conviction, parce que c’est le jargon du jour. Parmi eux, comme chez nombre de leurs adversaires, ce mot trop profané ne semble qu’une fastueuse étiquette qui ne trompe plus personne, de façon que, dans le camp catholique, les autoritaires ont fini par enlever aux libéraux toute créance. Non contens de les discréditer dans l’église comme de faux catholiques, ils ont réussi à les discréditer au dehors comme de faux libéraux.

Si courte qu’ait été la vieillesse des Montalembert et des Lacordaire, ces initiateurs du libéralisme catholique ont assez vécu pour assister à la ruine de leur noble rêve sous les coups de leurs anciens amis. Plus tristes encore eussent été leurs dernières années si le nombre en avait été moins parcimonieusement mesuré. On a dit que les catholiques libéraux avaient fait faillite, et, en réalité, grâce à l’abandon de leurs anciens associés, les hautes espérances de leur jeunesse ont été trahies ; mais, à y bien regarder, est-ce là la seule faillite de ce genre ? Les libéraux catholiques ont-ils été les seuls à perdre leur crédit auprès du public ou de leur ancienne clientèle ? Leurs adversaires de 1830 à 1848, devenus leurs alliés de 1850 et

  1. Avenir du 16 octobre 1830.