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par le poids spécifique, par la propriété de double réfraction dont ils sont doués l’un et l’autre, ne différent qu’en un point : le premier de ces deux sels, en dissolution, fait tourner le plan de la lumière polarisée ; le second est sans action sur le rayon lumineux.

Ce résultat causa beaucoup d’étonnement à M. Pasteur, qui, sortant alors de l’École normale, et attaché comme agrégé préparateur au laboratoire de M. Balard, s’était consacré avec ardeur à l’étude des travaux de Haüy et de M. Delafosse. D’après l’arrangement moléculaire des corps tel qu’il l’avait conçu, il ne comprenait pas que deux substances identiques pussent avoir sur la lumière des effets si différens.

C’est un étrange phénomène que l’action d’un corps dissous sur un rayon de lumière. Nous comprenons, surtout quand M. Tyndall nous l’explique dans son charmant livre intitulé : on Light, la modification produite dans le rayon qui traverse un cristal dans une direction perpendiculaire à son axe. Quand le rayon pénètre dans le cristal de tourmaline, il est séparé en deux parties : les vibrations de l’éther, qui avaient lieu dans tous les sens, deviennent les unes parallèles, les autres perpendiculaires à l’axe du cristal. « Le groupement des molécules et de l’éther associé aux molécules a réduit toutes les vibrations à ces deux directions. L’un des deux rayons, celui dont les vibrations sont parallèles à l’axe, est rapidement éteint par la tourmaline… Après avoir traversé une faible épaisseur de ce cristal, l’autre rayon émerge, avec toutes ses vibrations ramenées en un même plan. » C’est le plan de polarisation.

On conçoit comment, la lumière polarisée traversant un autre cristal, l’arrangement des molécules qui, la première fois, avait ramené toutes les vibrations dans le même plan, puisse encore agir sur elles et faire tourner ce plan d’un certain angle. Mais ce qui confond l’esprit, c’est que des cristaux puissent agir sur la lumière quand ils sont dissous. Il n’y a plus alors de forme, il n’y a plus, au point de vue physique, d’arrangement moléculaire, il n’y a plus de cristal ; et cependant, quand la lumière polarisée traverse une solution d’un corps doué du pouvoir rotatoire, le plan de polarisation tournera d’un certain angle vers la droite ou vers la gauche. Peu importe même (l’expérience a été faite) que le liquide soit agité.

Il y a ainsi une relation certaine entre la forme des cristaux d’un corps et le pouvoir rotatoire qu’il possède quand il est dissous. Examinez les cristaux entiers et bien formés ; puis, faites-les fondre dans l’eau, détruisez-les ; et vous devrez savoir de quel côté le plan de polarisation sera interverti par le passage à travers l’eau qui les tient en suspension. Telle fut la découverte de M. Pasteur.