Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/876

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par lui : on y retrouvera ces vues larges et générales qui figurent dans ses travaux et caractérisent ce puissant esprit :

« Les récits que j’ai lus de l’apparition spontanée de la peste de Benghazi, en 1856 et en 1858, tendent à prouver que cette apparition n’a pu être rattachée à aucune contagion d’origine. Supposons, guidés comme nous le sommes par tous les faits que nous connaissons aujourd’hui, que la peste, maladie virulente propre à certains pays, ait des germes de longue durée. Dans tous ces pays, son virus atténué doit exister, prêt à reprendre sa forme active quand des conditions de climat, de famine, de misère s’y montrent de nouveau. La condition d’une durée dans la vitalité des germes du mal n’est même pas indispensable ; car, si j’en crois les médecins qui ont parcouru ces contrées, dans tous les pays à peste et dans les intervalles des grandes épidémies, on rencontre des sujets atteints de bubons non mortels, semblables aux bubons de la peste mortelle. N’est-il point probable que ces bubons renferment un virus atténué de la peste et que le passage de ce virus dans des corps épuisés, comme il en existe tant aux époques de famine, peut rendre à ce virus atténué une virulence plus grande ?

« Il est d’autres maladies virulentes qui apparaissent brusquement, comme le typhus des armées ou des camps. Sans doute, les germes des microbes auteurs de ces maladies sont partout répandus, mais atténués, et, à cet état, l’homme les porterait sur lui ou dans son canal intestinal sans grand dommage, et ils ne seraient prêts à devenir dangereux que quand, par des conditions d’encombrement et peut-être de développement successifs à la surface des plaies, dans des corps affaiblis par la maladie, leur virulence se trouverait progressivement renforcée. »

Ainsi les cultures dans l’organisme peuvent augmenter la virulence. Elles peuvent aussi la diminuer, suivant les conditions de l’expérience. Nous arrivons ici aux plus récens travaux de M. Pasteur, travaux auxquels l’humanité devra bientôt, il est permis de l’espérer, la disparition de la plus effrayante des maladies contagieuses, la rage. Aucune culture du virus rabique, en dehors de l’organisme, n’a jusqu’à présent réussi. Le microbe qui cause ce mal horrible ne paraît se développer que dans la matière nerveuse, et ses ravages ne se déclarent que lorsque le mal est établi dans le cerveau.

M. Pasteur s’assura de ce premier point en inoculant par trépanation dans le cerveau d’un chien le bulbe d’un autre chien mort de la rage : l’animal fut pris en moins de huit jours. C’était là expliquer comment la période d’inoculation dure quelquefois si longtemps : le virus est attaché à l’organisme, mais n’a pas atteint