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d’un grand nombre de coups à tirer. Il en résulte que l’approvisionnement d’une pièce de moyen calibre pèse beaucoup plus que l’approvisionnement des torpilles d’un tube de lancement. « On conçoit dès lors, dit l’auteur anonyme d’une remarquable Étude critique sur la marine de guerre au point de vue des torpilles[1], on conçoit dès lors combien le problème du torpilleur est différent de celui du bateau-canon. Lorsqu’on construit un bâtiment, son déplacement est connu, et les différens poids qui le composent sont répartis suivant des proportions forcées dont il est impossible de sortir. Ainsi, pour un navire rapide, il faut compter environ 35 pour 100 du poids total pour la coque ; 4S pour 100 du poids total pour l’appareil moteur évaporatoire ; 10 pour 100 pour le charbon. Il ne reste donc plus que 10 pour 100 pour le poids de l’armement militaire, de l’équipage, des vivres, des rechanges, etc. Cette fraction est suffisante pour le torpilleur à cause du nombre réduit de son équipage et de la légèreté relative de son engin de combat. Mais si l’on voulait réaliser un bateau-canon d’une vitesse égale à celle des torpilleurs, il faut remarquer d’abord que le poids de la coque devrait être porté à 40 pour 100 au moins du poids total, car ce n’est qu’à cette condition qu’on obtiendrait un échantillon suffisant pour résister au tir de la pièce. La fraction disponible pour l’armement militaire, les vivres, les rechanges et l’équipage se trouverait donc réduite à 5 pour 100. Or le poids d’un canon de 14cm avec tout son approvisionnement est de 40 tonneaux environ. Il faudrait bien au moins vingt-cinq hommes d’équipage pour manœuvrer l’appareil moteur et l’appareil militaire. On peut estimer le poids de ces vingt-cinq hommes avec leurs sacs, leurs vivres, leurs rechanges et autres impedimenta du bord à environ 8 tonneaux. Cela fait un total de 18 tonneaux représentant 5 pour 100 du poids total, ce qui revient à dire qu’un bateau-canon susceptible d’avoir une grande vitesse et ne portant qu’une simple petite pièce de 14cm ne saurait être réalisé à moins d’atteindre 360 tonneaux… Nous voilà loin de nos torpilleurs du type 60, qui ne pèsent que 50 tonnes ! »

Il y a certainement quelque vérité dans les observations que nous venons de reproduire, et nous sommes loin de prétendre qu’une canonnière puisse être aussi petite et aussi légère qu’un torpilleur. Nous ajouterons qu’il serait inutile qu’elle le fût. Le torpilleur a besoin d’une agilité et d’une petitesse extrêmes, parce qu’il attaque de près, parce qu’il combat tout à fait sous le feu de l’ennemi. Mais pour incendier des ports, des rades ouvertes, pour faire sauter les magasins à poudre, voire même pour tenter des coups heureux

  1. Avenir des colonies et de la marine, 5 novembre 1884.