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chauffe des bateaux torpilleurs. Mais il est à craindre que ce projet, envoyé à des commissions diverses, ne finisse, comme tant d’autres, par être enterré dans les cartons du ministère. C’est à l’opinion publique d’exercer une pression sur le gouvernement pour l’obliger à montrer plus de décision. Si admirable que soit la torpille automobile, c’est une arme dont ne pourront se servir que les nations qui l’auront étudiée et pratiquée longuement. Chez nous, nous le répétons, elle est si peu connue que les trois-quarts de nos marins nient de bonne foi ses qualités les mieux constatées. Enfin, même si nos soixante-dix torpilleurs étaient armés et s’ils étaient excellens, ce ne serait pas assez pour un pays qui est vulnérable sur trois mers, il faudrait donc se hâter d’en mettre un grand nombre d’autres en construction. Puisqu’on tient au type de 41 mètres et de 71 tonneaux, on réserverait, pour l’océan et les croisières les torpilleurs de ce genre. Ceux que nous possédons déjà, et qui sont tous d’un modèle inférieur, seraient ralliés dans la Méditerranée, où on les emploierait immédiatement à l’instruction du personnel. Il y en a peut-être quarante d’une valeur réelle. Ne serait-ce pas le meilleur usage à en faire ? Quant aux canonnières rapides, nous n’en avons aucune. Nos croiseurs même ont une vitesse actuellement insuffisante, et la flottille de petits bâtimens que nous possédons se compose en grande partie de vieux types qui ne font guère honneur à ceux qui les ont construits. Ils sont sans vitesse, impropres à la course, incapables de faire route par gros temps, à la merci de tout cuirassé ou autre bâtiment mieux armé qu’eux, puisque leur désespérante lenteur ne leur permettra jamais d’éviter le combat. Les types nouveaux ont aussi une vitesse dérisoire ; leur mobilité, par suite, n’est pas assez grande pour qu’ils puissent présenter une cible difficile à atteindre ; ils ont un trop fort tirant d’eau ; leur seul avantage sur les types plus anciens, c’est qu’ils tiennent mieux la mer. Nous demandons que la vitesse soit désormais le premier facteur à considérer dans le devis de tout navire à construire, et après la vitesse, les petites dimensions, ce qui nous permettra d’avoir le nombre. Mais encore une fois, il est urgent de constituer cette flotte de bâtimens offensifs, canonnières et torpilleurs, dont nous sommes si complètement dépourvus. La vitesse n’est pas moins nécessaire en administration que durant le combat. Si, pour être prêts au moment décisif, il faut hâter la création de toutes pièces des futurs engins de la guerre maritime, qu’on se soutienne qu’administrer, c’est prévoir, et qu’en marine, — surtout chez nous, — rien ne s’improvise ! Nous sommes déjà distancés par quelques-uns de nos rivaux ; il n’est que temps de s’en apercevoir et d’aviser.


Gabriel Charmes.