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l’Irlande. Non-seulement il n’était pas disposé à renoncer aux mesures d’exception, mais il aurait voulu les appliquer avec plus de vigueur. Le gouvernement refusa de le suivre dans cette voie. C’est alors que M. Forster donna sa démission et qu’un nouveau système fut adopté. Les détenus politiques furent mis en liberté. Par la loi sur les arrérages, de nouvelles concessions furent faites aux fermiers. On ne demanda pas le renouvellement de la loi pour la protection des personnes et des propriétés. On la remplaça, il est vrai, par une autre loi d’exception, la loi pour prévenir les crimes. Au système de l’emprisonnement par simple mesure administrative était substitué le système du jugement par des tribunaux d’exception, sans l’assistance du jury. La différence n’était pas grande. La nouvelle loi, appliquée sévèrement, aurait pu donner les mêmes résultats que la précédente. Toute la question était donc de savoir comment elle serait appliquée. Or cette question paraissait tranchée par le remplacement de M. Forster. L’homme qui avait personnifié la politique de répression s’en allait : évidemment sa politique s’en allait avec lui.

Le changement de front du gouvernement fut sévèrement jugé, non-seulement par les conservateurs, mais par certains libéraux. On trouvait qu’en face de l’effervescence de l’Irlande, il était imprudent d’affaiblir l’autorité gouvernementale. Ou racontait que les concessions faites par M. Gladstone avaient été décidées à la suite d’une négociation secrète entre le gouvernement anglais et les chefs du parti national irlandais, détenus à Kilmainham. Il y avait quelque chose de vrai dans ces bruits. Le pacte de Kilmainham n’était pas une simple invention de l’opposition, une de ces légendes créées par l’esprit de parti. Il y avait eu, en effet, une sorte de négociation, dans laquelle M. Gladstone n’était pas intervenu personnellement, mais dans laquelle d’autres membres du cabinet, notamment M. Chamberlain, avaient joué un rôle très actif. Un certain capitaine O’Shea, député irlandais de Clare, avait servi d’intermédiaire. La correspondance échangée entre M. O’Shea et M. Parnell fut portée à la connaissance du public dans le cours de la discussion de la loi pour prévenir les crimes. Elle n’était pas de nature à relever le prestige du gouvernement. Elle le montrait négociant avec des détenus politiques, sollicitant ou tout au moins acceptant leur appui moyennant certaines concessions. Les détenus de Kilmainham, de leur côté, n’avaient pas été très fiers dans la circonstance. Aussi le capitaine O’Shea, en lisant la pièce principale du dossier, une lettre de M. Parnell en date du 28 avril 1882, avait-il pris soin d’en supprimer la phrase la plus importante, celle où le chef du parti national irlandais promettait son appui au ministère. M. Forster, qui avait