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observer que toute cette politique n’est pas précisément de nature à inspirer une grande confiance pour l’avenir, les mameluks du ministère s’écrient aussitôt qu’on encourage la Chine à résister, que nos débats sont lus à Pékin ! C’est exactement ce que disaient les mameluks de l’empire lorsque M. Thiers, M. Jules Favre signalaient les fautes et les dangers de l’expédition du Mexique ; ils prétendaient, eux aussi, que les discours de M. Jules Favre allaient au camp du dictateur mexicain. Nos ministériels n’inventent rien, et ce n’est malheureusement pas le seul point où ils s’approprient les procédés les plus suspects de l’empire pour les mettre au service de leurs passions et de leurs ressentimens.

La politique du jour, à vrai dire, ne se pique pas d’être élevée ni désintéressée, et elle le montre bien à tout instant dans les affaires intérieures aussi bien que dans les affaires extérieures. Dans les unes et les autres, elle vit d’expédiens, de petites combinaisons, de tactiques de parti, et même, à propos d’une réforme constitutionnelle, d’une loi électorale du sénat ou du budget, elle ne se demande pas si elle fait une œuvre sérieuse, prévoyante et juste ; elle se demande, avant tout, ce qui servira le mieux ses intérêts ou ses passions. Oh ! si, par exemple, pour cette loi électorale du sénat qui vient d’être votée, on avait pu tout simplement supprimer l’inamovibilité pour des hommes comme M. Buffet, comme M. Chesnelong, et la maintenir pour les républicains ; si on avait pu composer un collège sénatorial particulier, choisi au besoin par une commission administrative, pour les départemens qui ont élu jusqu’ici M. le duc de Broglie, M. Bocher, c’eût été au mieux, le problème aurait été résolu : on avait le couronnement de la révision ! Malheureusement c’était un peu difficile ou par trop naïf ; il a fallu prendre des détours, et le résultat, pour avoir été poursuivi plus laborieusement, à travers bien des scènes de comédie dans les deux chambres, n’est pas moins à peu près ce qu’on voulait, un simple expédient de parti dirigé contre des adversaires, atteignant le sénat lui-même dans son autorité et dans sa dignité.

Évidemment, puisque cette révision tapageuse et stérile du mois d’août, si chère à M. le président du conseil, avait fait une nécessité d’une loi nouvelle pour le sénat, on pouvait choisir entre divers systèmes qui frappent l’esprit du premier coup. Même en admettant la suppression de l’inamovibilité, qui était une garantie d’indépendance parlementaire, mais contre laquelle s’élève un puéril préjugé républicain, il restait deux ou trois modes d’élection également sérieux et pour ainsi dire également loyaux. On pouvait conserver le principe de la représentation communale qui a fait l’originalité et le caractère du nouveau sénat ; on pouvait maintenir ce principe en l’étendant, si on le voulait, en faisant des électeurs de tous les conseillers municipaux. On obtenait ainsi le double résultat d’augmenter le nombre des électeurs sénatoriaux et de respecter le principe de la représentation