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quiconque persévérerait. Aucun autre reproche pourtant n’était fait aux maçons que de a haïr la lumière ; » et c’est aussi le seul qu’on trouve dans la comédie des Donne curiose, que Goldoni écrivait contre eux.

La régence toutefois ne permit pas que la bulle fût publiée dans le grand-duché. Comme les maçons ne touchaient nullement aux matières religieuses, les frapper, c’était, pour les pouvoirs religieux, empiéter sur les droits du pouvoir civil. Au point de vue politique, il y avait d’ailleurs de graves inconvéniens à poursuivre des maçons étrangers, et si on les respectait par prudence, l’équité ne permettait guère de frapper leurs amis regnicoles. Ces amis, au surplus, ne pouvaient devenir un danger : loin d’être trente mille, quatorze mille, deux mille, ils étaient à peine une poignée d’hommes, soixante environ. La curiosité, qui fut de tout temps le péché mignon du Florentin, les avait attirés. Ainsi le docteur Cocchi, professeur d’anatomie, le meilleur écrivain toscan de cette période, s’était fait affilier dès l’année 1732, non sans continuer d’être assidu à l’église et de recevoir les sacremens, ce qui ne l’empêchait point d’être vu de mauvais œil par l’inquisiteur et regardé par Walpole comme a free thinker, un libre penseur ; après lui, en 1735, deux augustins du couvent de San-Spirito, Irlandais de nation, ce qui avait levé, chez les catholiques curieux, les scrupules de la prudence. Dans le nombre s’étaient faufilés quelques mauvais garnemens, quoique la règle de la loge fût de n’en point admettre : on ne porte pas son honnêteté écrite sur son chapeau. Ce drôle de Casanova, qui ne devrait, ce semble, donner des leçons de moralité à personne, en donne pourtant aux jeunes gens qu’il pousse à courir le monde et à se faire francs-maçons : « Choisissez bien, leur disait-il, votre loge, car, quoique la mauvaise société en soit bannie, elle s’y peut fort bien rencontrer. »

Ce qu’on aurait pu craindre, c’est que l’exemple des premiers Florentins ne fût contagieux ; mais il n’en avait rien été. Leur curiosité satisfaite, ils n’étaient plus assidus aux réunions : ils aimaient peu la compagnie de ces raides et flegmatiques insulaires aux manières dures et bizarres, si portés aux longs banquets et aux boissons capiteuses. La sobriété italienne se trouvait mal de leur tenir tête et, parmi eux, paraissait ridicule. Dans ces conditions, la bulle pontificale ne pouvait être, n’avait été qu’un énergique dissolvant. Un à un, les Florentins se retirèrent ; l’aubergiste Collins ferma sa porte, malgré le profit qu’il trouvait à l’ouvrir, et, sur le conseil du résident anglais, lord Fane, le vénérable de la loge, lord Raymond, se décida à la dissoudre. Le saint-office, le saint-siège avaient satisfaction ; ils n’inquiétèrent donc sérieusement personne, un seul excepté, notre Tommaso Crudeli.