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d’un docteur affilié à une société d’origine anglaise, il voyait la main de Rome, amie des Stuarts, ennemie de la maison de Hanovre, en d’autres termes presque une affaire d’état.


IV

Asthmatique comme il était, l’infortuné poète avait été conduit dans un étroit cachot de Santa-Croce, situé sous les toits. La fenêtre en était si petite que l’air y pénétrait à peine, et les rayons du soleil levant, dans cette saison d’été, réchauffaient pour toute la journée. Six pas à peine pour remuer les jambes, un grabat si habité qu’il en paraissait une fourmilière, et, sous le vent, des latrines rudimentaires, qui empuantissaient le peu d’air respirable parvenant au prisonnier. Comme on le savait fort malade, chacun disait par la ville qu’il était en danger de mort. Après trente-six jours, on le transféra donc dans une chambre moins fétide ; mais il y manquait encore d’air et de lumière, car on avait barricadé la fenêtre par crainte de communications avec le dehors. Jamais de visites ; point de chandelle la nuit ; ni papier, ni plumes, ni livres, et pourtant il n’était encore que prévenu, il n’avait pas même subi son premier interrogatoire.

C’est que l’instruction se poursuivait avec lenteur. De toutes parts on recueillait des témoignages, amis et ennemis, vrais et faux. On tenait pour sérieux ceux même qui se bornaient à rapporter tel ou tel propos d’un tiers. L’art de poser des questions dictait leur réponse aux simples, et plus d’un parmi eux, comme parmi les intimidés, s’engagèrent par serment à déposer ce qu’on leur dicterait. Quelquefois pourtant on s’adressait mal, et il y eut des refus honorables, celui notamment du marquis Giugni. Mais la peur est mauvaise conseillère, et les lâches forment légion.

Dans son indignation, le ministre Rucellai ne parlait de rien moins que de faire abolir sur-le-champ le saint-office ; par malheur, il lui était difficile d’y réussir, et il n’osait seulement pas en écrire à Vienne, où il savait la curie toute-puissante. Ce qui le décida, ce fut une supplique remise par les parens du prisonnier aux membres du conseil de régence, pour qu’ils la fissent parvenir au grand-duc. Après deux mois et neuf jours de détention, ni Crudeli ni les siens ne soupçonnaient de quoi il pouvait être accusé. Son vieux père, sa vieille mère ignoraient même que l’asthme se compliquait désormais de redoutables crachemens de sang. Le comte de Richecourt joignit à leur supplique un rapport de Rucellai avertissant le