Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduit à l’air, pour respirer, qu’une fois toutes les vingt-quatre heures et non de jour, quoique la froidure nocturne ne pût qu’être funeste à un asthmatique. Afin d’obtenir un traitement moins rigoureux, il entreprit de prouver qu’il n’avait pas voulu fuir, et il raconta de fil en aiguille toute l’aventure, sans nommer pourtant ni compromettre personne. Mais il avait affaire à plus fin que lui : l’inquisiteur Ambrogi, devinant ce qu’on ne lui disait pas et résolu à s’en assurer, fit aussitôt écrire à Antonio Crudeli trois billets où était imitée l’écriture de Tommaso. Les réponses d’Antonio furent évasives : il avait flairé la fraude. Pris toutefois de frayeur, pour être plus sûr de son pardon, il s’alla dénoncer lui-même : vrai procédé de Gribouille. Quant au poète, il ne pouvait plus rien dissimuler. Qu’importait, après tout ? A supposer qu’on lui reprochât de n’avoir pas livré le nom d’un frère si dévoué, sa situation n’en pouvait être sensiblement empirée.


VI

En fait, la découverte des engins, qui aurait dû, semble-t-il, aggraver ses souffrances, peut-être même causer sa ruine, fut pour lui la planche de salut. On n’avait prolongé sa détention que pour réunir contre lui de nouveaux indices. Ces indices, on les avait : ayant voulu fuir, il était coupable. De Borne vint donc bientôt l’ordre de l’admettre à présenter sa défense. Grande fut sa joie, il se voyait déjà en liberté. Et pourtant que d’entraves à cette défense, son cher espoir ! Il ne pouvait choisir son défenseur que parmi les trois hommes de loi agréés par lettres patentes du saint-office, et son choix devait encore être approuvé de l’inquisiteur. Le défenseur n’avait pas le droit de demander les noms des dénonciateurs et des témoins ; il ne pouvait montrer à personne la copie du procès, qui ne lui était communiquée qu’à la condition de la restituer au tribunal. Il devait jurer que s’il jugeait son client coupable, il l’abandonnerait, et que, s’il lui découvrait des complices, il les dénoncerait. Ainsi tout son rôle consistait à conférer avec l’accusé et à remettre au tribunal deux notes indiquant les points sur lesquels il désirait interroger les témoins tant à charge qu’à décharge. Crudeli ayant fixé son choix sur celui des trois défenseurs que l’élargissement de quelques détenus avait mis en renom, ne put obtenir l’assentiment de son juge, et dut se rabattre sur un docteur Bartolommeo Archi, âgé de quatre-vingt-deux ans, à peu près hors d’état de tenir une plume, et qui, selon les règles dû saint-office, ne pouvait emprunter la plume d’autrui. Dans les conférences qu’ils