Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tribunal de l’inquisition, celle de communier et de communier fréquemment figurait au premier rang. Mais comment communier si le confesseur refusait l’absolution ; et comment l’accorder pour certaines fautes ou certains crimes, sans y mettre un peu d’indulgence ? Comme d’ailleurs il y allait, à communier ou ne pas communier, non-seulement du salut dans l’autre monde, mais de la vie même dans celui-ci, ou à tout le moins de la liberté, les casuistes espagnols, que l’on peut bien appeler les Pères de la casuistique, se trouvèrent donc ainsi portés à multiplier les raisons d’absoudre ou d’excuser le pécheur. Est-ce nous, aujourd’hui, qui leur en ferons un si grand crime ? Il faut pourtant bien accorder que, détachées de leur origine historique et considérées en elles-mêmes, beaucoup de leurs décisions ont de quoi scandaliser, sinon peut-être les fidèles, tout au moins les incroyans. La même remarque qui les décharge, ou même, si l’on veut, les réhabilite comme hommes, les accuse ainsi d’autant et les condamne comme moralistes. Si la loi peut et doit quelquefois fléchir, on ne saurait du moins admettre que l’art de la tourner se substitue à elle. Et quoique sans doute on ait exagéré cette complaisance des casuistes, puisqu’enfin nous voyons qu’à peine a-t-on trouvé dans les énormes compilations d’Escobar ou de Caramuel une centaine de décisions à reprendre, ce n’est pas sans raison qu’on les soupçonne d’avoir trop adouci, c’est-à-dire corrompu, l’idéale sévérité de la morale chrétienne. »

Enfin, qu’à cette humanité dont leur complaisance porte ainsi témoignage, il se soit mêlé plus tard quelque peu de politique, c’est ce qu’il ne semble pas facile, et ce qu’il serait d’ailleurs bien superflu de contester. Si les jésuites n’ont assurément pas formé le dessein de corrompre le monde, ils ont cependant nourri celui de le dominer, et ils en ont cherché les moyens. C’eût été mentir à l’esprit de leur institution primitive que de négliger, parmi tous ces moyens, ceux que le gouvernement des consciences mettait à leur disposition. Et comme c’était le temps alors où l’esprit laïque, dans l’Europe entière, commençait à s’émanciper de sa longue tutelle, de peur de tout perdre en voulant trop gagner, ils s’accommodèrent au temps. On se rappelle avec quelle éloquence Pascal le leur a reproché. Je ne répondrais pas que nous eussions aujourd’hui le droit de leur montrer la même sévérité. Sur beaucoup de points, en effet, leurs plus implacables adversaires sont bien obligés de convenir qu’en face du jansénisme, c’était eux qui comprenaient le mieux les nécessités des sociétés modernes. Un sentiment plus fort que tous les textes eux-mêmes de l’Évangile et plus puissant que toutes, les lois dirigées contre le duel, a consacré la juste distinction que les casuistes établissaient entre le duel et l’homicide. Une nécessité plus impérieuse que la loi de Moïse et plus souveraine que la tradition de l’église a consacré dans l’église même use qu’ils enseignaient sur le prêt à intérêt. Malheureusement, ces