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Des affaires, des incidens, des antagonismes avoués on inavoués, des volte-face dans les rapports des cabinets, des négociations, des médiations et des conférences, il y en a eu sans doute, il y en a toujours. Il y a eu de quoi occuper les diplomates et défrayer les curiosités qui veulent du nouveau, n’en fût-il plus au monde. De tous ces incidens qui se succèdent et se croisent, à travers lesquels se joue la comédie perpétuelle des influences rivales, les uns sont déjà passés et presque oubliés comme cette entrevue de Skierniewice, où les trois empereurs se sont rencontrés pour renouer d’anciennes amitiés, de vieux liens de solidarité dynastique ; les autres durent encore et ne sont peut-être pas près de finir. Il est certain, par exemple, que cette question égyptienne, qui a déjà passé par tant de péripéties, ne semble pas toucher à un dénoûment, qu’elle n’a point avancé d’un pas depuis la conférence qui s’est réunie cet été à Londres pour ne rien faire, que tout paraît au contraire être plus obscur et plus embrouillé que jamais. L’Angleterre en est jusqu’ici pour les propositions financières dont elle a pris l’initiative après l’échec de la conférence de Londres, et qui n’ont point évidemment trouvé auprès des cabinets un accueil des plus empressés. Des puissances comme l’Allemagne, la Russie, à leur tour, sans se hâter de répondre à l’Angleterre, se tournent vers le Caire, vers le khédive, réclamant impérieusement leur part d’autorité et d’influence dans l’administration de la caisse de la dette égyptienne. D’un côté, les Anglais poursuivent avec quelque embarras et quelque lenteur, mais avec fixité, une politique dont ils hésitent à dire le dernier mot ; d’un autre côté, un certain accord s’est fait visiblement entre les puissances du continent pour sauvegarder les droits, les intérêts européens sur les bords du Nil et maintenir, dans tous les cas, le caractère d’internationalité de l’Egypte. C’est là le fond du débat : on a de la peine à s’entendre et on ne s’entendra pas, tant que l’Angleterre n’aura pas à offrir des garanties plus précises, plus décisives à l’Europe. Avec la question égyptienne, qui était déjà un legs de l’année précédente et qui n’est pas près de finir, s’est élevée tout à coup cette question du Congo, à laquelle on ne pensait guère, il y a quelques semaines, et qui est maintenant, elle aussi, l’objet des délibérations d’une conférence réunie à Berlin sous les auspices du chancelier d’Allemagne.

On ne prévoit pas bien encore, on ne peut pas prévoir, à vrai dire, ce qui sortira de cette réunion où il s’agit de résoudre des problèmes tout nouveaux au sujet de territoires inexplorés, presque inconnus, de l’intérieur de l’Afrique, et des fleuves qui sillonnent ces contrées. Ce qu’il y a de plus clair et de caractéristique, c’est que cette conférence d’un ordre particulier réunie à Berlin n’est que la manifestation d’une idée à laquelle cèdent la plupart des gouvernemens européens, l’idée de la politique coloniale, de l’extension dans les régions lointaines par les annexions, les protectorats ou la création d’empires coloniaux.