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plus expérimentés. Dans la salle des Pas-Perdus, on a entendu tel député conseiller l’annexion pure et simple de la Hollande, avec ses possessions d’outre-mer, par la raison que les Hollandais se permettent bien de « prendre dans le Rhin nos saumons. » Devant l’opinion publique, la question coloniale était encore prématurée alors. Depuis, l’idée a fait son chemin, au point que l’acquisition de colonies passe maintenant pour un besoin de la nation. Tous les crédits nécessaires pour soutenir la politique coloniale seront votés à l’avenir avec une forte majorité. Dût un adversaire chagrin rappeler à ce propos au chancelier de l’empire que sa manière de voir présente n’est plus d’accord avec son opinion d’autrefois, on l’entendra répondre une fois de plus que, s’il a changé d’avis, c’est pour avoir depuis lors appris quelque chose.

Apprendre quelque chose des leçons de l’expérience, n’est-ce pas la conclusion naturelle qui doit découler de cette étude sur la population de l’empire allemand ? Dans la nouvelle politique coloniale mise à l’ordre du jour, il s’agit moins, pour l’Allemagne, de créer des colonies de peuplement que de s’assurer des comptoirs susceptibles d’ouvrir à l’industrie nationale de nouveaux et importons débouchés. Devenus une nation forte, les Allemands veulent être de plus une nation riche, développant constamment sa puissance de production. Sans doute quelques illusions se mêlent aux projets de colonies nationales, dont les promoteurs demandent la réalisation sans sacrifices pour le pays, sans imposer au budget des charges considérables. Ces charges, pourtant, la nation allemande est de force à les supporter, sans trop de peine. Aussi bien ne devons-nous pas perdre de vue surtout que, malgré l’intensité de l’émigration, le nombre d’habitans de l’Allemagne augmente, une année dans l’autre, d’un demi-million, de manière de doubler en l’espace de trois générations. En France, avec une émigration insignifiante, l’accroissement de la population se ralentit de plus en plus. La natalité de la race française diminue et, dès maintenant, le pays compte moins d’hommes que l’empire allemand unifié. Cette disproportion croissante constitue pour la France un péril national, une menace pour l’avenir de son peuple, si généreux et si brillant, dont les nobles qualités et la valeur ne peuvent cesser d’exercer dans le monde une légitime et bienfaisante influence.


CHARLES GRAD.