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à son ami, Buremonde. Samuel Chandler, le fameux prédicateur puritain, après avoir vu son frère pendu pour faux, ruiné lui-même, était réduit à ouvrir une échoppe de bouquiniste. Aislabie, le chancelier de l’Échiquier, était déshonoré. Le directeur-général des postes, Graggs, fin lettré, ami d’Addison et l’une des plumes élégantes du Spectator, disparaissait de ce monde juste à temps pour éviter la même honte et la léguer à son vieux père, qui en mourut de chagrin. Les maîtresses du roi, vieilles créatures dégoûtantes qu’il avait amenées avec lui du Hanovre et affublées de titres anglais, furent les seules personnes qui, n’ayant point de considération à sauver, ne perdirent rien et gardèrent, par surcroît, quelques épaves de la fortune publique.

Certes un tel spectacle était lait pour inspirer à la fois le poète comique, le prédicateur, l’écrivain satirique et le caricaturiste. La caricature naissait à peine ; son nom même n’était pas encore entré dans la langue. Pendant que cette branche de l’art fleurissait et fructifiait en France, en Italie, en Allemagne, et, plus récemment, en Hollande, elle était, faute d’artistes habiles, demeurée stérile en Angleterre, et les contemporains de Swift ignoraient encore un genre pour lequel tout les prédestinait : liberté des mœurs politiques, humour national, penchant pour la satire morale, goût de l’allégorie, et jusqu’à cette joyeuse recherche des laideurs physiques, qui est, chez les races teutoniques et saxonnes, un legs du moyen âge. Enfin, après la révolution de 1688, la caricature hollandaise avait passé la mer à la suite du nouveau roi. Les élèves de Romain de Hooghe, — de ce Romain de Hooghe qui avait combattu l’invasion française le crayon à la main, et vengé des dédains de Louis XIV les magots de Teniers, — commençaient à apprendre aux Anglais comment on dessine une épigramme, comment on burine un sarcasme. La fantaisie de l’artiste satirique hésitait encore entre le papier et le bronze. Mais le bronze est un métal noble : il veut des lignes sévères et des sujets graves ; il ne reçoit que ce qui est, comme lui, fait pour durer. Il y a une incompatibilité entre le bronze et la caricature. On s’en tint donc au papier, qui souffre tout, le vague de l’exécution comme la frivolité des motifs, et qui offre d’ailleurs à l’imagination un champ bien plus vaste que le cercle étroit d’une médaille. On put y déployer à l’aise ces enchevêtremens de figures et d’attributs symboliques où chaque détail formait une énigme particulière dans l’immense rébus. On appelait hieroglyphics ces caricatures primitives dont la complication était le principal mérite, et le krach de 1720 en vit éclore un bon nombre.

Une des plus obscures, une des plus laborieuses, pour tout dire en un mot, une des plus médiocres et une des moins remarquées était l’œuvre d’un jeune homme de vingt-trois ans, dont le nom