Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attitude. Autour d’eux circulaient, criards et affairés, tous les industriels du pavé. Sous Charles II, on vendait des masques, fort utiles aux femmes « honnêtes » qui désiraient aller partout, tout voir et tout entendre. Les marchands de masques avaient disparu, faisant place aux chanteurs de ballades politiques, aux liquoristes ambulans, aux croupiers en plein air qui établissaient sur deux tréteaux une petite table et un jeu de dés. Toute cette foule ondulait en grondant sous les fenêtres de maître Gamble, et donnait de terribles distractions au jeune William, qui dessinait au poinçon des licornes et des léopards.

Il en voyait bien davantage pendant ses courses d’apprenti, courses compliquées de stations imprévues et de zigzags fantasques dont le patron n’a jamais rien su. Il a sans doute assisté, dans Covent-Garden, à cette heure étrange où le travail qui se lève coudoie la débauche qui va se coucher. Laitières et maraîchers affluent ; la dévote matinale se rend à l’office, escortée d’un page qui trotte sur ses talons, portant un volumineux prayer-book. Un à un, les noctambules, blêmis par une nuit d’insomnie, sortent du cabaret mal famé qui leur a servi d’asile. Avec les lieux et les heures, le tableau change. Aux escaliers du Temple, les avocats en robe et en perruque hèlent un batelier pour les conduire à Westminster ; près de Whitehall, les officiers en demi-solde pérorent sur les chances de guerre et d’avancement ; sur le Mail, les nouvellistes tiennent leur club au soleil. William voit descendre de leurs coches, à la porte des « maisons à chocolat, » les filles à la mode dont il sera l’historiographe. Son regard pénétrant plonge dans l’intérieur des pâtisseries françaises et de ces mystérieux magasins de curiosités où l’on marchande une femme en feignant de marchander une porcelaine. Lorsque le jeune homme a quelques pence dans sa poche, il en profite pour rendre visite aux marionnettes de Powell ou aux figures de cire de Mme Salmon ; peut-être sa curiosité l’a-t-elle un jour mené chez les prophètes français de Soho, qui exhibent des convulsionnaires, « à l’instar de Paris, » et font des miracles en chambre, exacte reproduction de ceux du cimetière Saint Médard.

Mais à quoi bon dépenser son argent lorsque la rue offre tant de spectacles gratis ? D’abord, les enseignes qui se balancent, innombrables, au-dessus des boutiques, et font, le matin et le soir, une ombre mouvante sur le pavé. Et puis, que de petits événemens en quelques heures ! Qu’un carrosse verse, qu’un cheval s’abatte, qu’on poursuive un voleur, qu’une rixe éclate entre les matelots et les chairmen, William est au premier rang de la galerie. Il est là lorsqu’on jette de la boue aux voitures des maîtresses royales. Il est encore là lorsqu’on fouette un pamphlétaire jacobite en l’honneur de la liberté de la presse. Le condamné reçoit un coup de fouet au