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commencemens de la vocation artistique de Hogarth, on racontait plus tard, dans son entourage, quelques-unes de ces anecdotes qui plaisaient tant aux biographes d’autrefois. Laissons Orford, Ireland, Nickolls, et autres ramasseurs de miettes, recueillir pieusement ces puérils récits des lèvres de la bonne mistress Hogarth. Vrais ou apocryphes, nous ne leur accordons aucune portée. Il n’y a point de crise, d’heure décisive dans la carrière de Hogarth, aucune de ces lueurs fulgurantes qui illuminent tout à coup la route d’un homme de génie. Sa vocation est de regarder ; elle date de l’instant où il a ouvert les yeux. Elle a grandi chaque jour par un progrès insensible et lent, par des additions patientes au trésor d’observations déjà recueillies. En dehors de ces observations, il n’y a rien, ou bien peu de chose, dans le cerveau de Hogarth, qui n’a eu ni l’envie, ni l’occasion, ni le temps d’étudier. Une possède pas même le nécessaire en matière de connaissances grammaticales ; à ce point que, vers la fin de sa vie, même lorsqu’il se pique d’être auteur, on le voit broncher sur l’orthographe. Si le collège avait assoupli ses facultés, meublé sa mémoire de formes et d’expressions, il eût pu être un Molière anglais. Mais on lui a mis dans les mains un poinçon au lieu d’une plume. La seule grammaire dont il ait quelque notion, c’est celle du dessin ; la seule langue qu’il ait péniblement appris à épeler est celle des lignes et des couleurs : c’est dans cette langue qu’il traduira ses observations. Tous ses efforts, — d’abord confus et instinctifs, réglés ensuite par l’intelligence et poursuivis avec une indomptable persévérance, — vont tendre à se rendre maître de cette langue rebelle qu’il aborde, avec des dispositions médiocres, par son côté le plus ingrat et le plus rude.

Il nous raconte lui-même que, tout en apprenant son métier de graveur sur métaux, il s’échappait de temps à autre pour aller chez un peintre qui lui avait ouvert son atelier. Est-ce là qu’il vit, pour la première fois, les œuvres de Callot ? Quoi qu’il en soit, son émotion fut vive. Il y avait, entre l’apprenti de Cranbourne-street et le fils du héraut d’armes de Lorraine, cette coïncidence que tous deux, l’un par métier, l’autre par tradition domestique, ont eu pour premiers modèles les monstres héraldiques qui sont, — soit dit sans offenser les amateurs de blason, — les caricatures de la vie animale. Les dragons ailés, les serpens à face humaine, les postures hors nature, la fantaisie à outrance qui déborde dans les diableries du maître nancéen, devaient étonner, sans le séduire, le jeune bon sens anglais de William Hogarth. En revanche, les mendians et les saltimbanques de Callot firent ses délices et son étude.

Dès ce moment, il s’était juré d’être artiste : ce qui ne