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est laide, où sa chambre est affreuse. Si le jour y pénètre, c’est en ennemi, pour lui montrer le dénûment de tout ce qui l’entoure, et ses traits plombés dans le morceau de glace cassée qui lui sert de miroir. Son lit, sur lequel elle est assise, — un fouillis de choses chiffonnées, — éveille non l’idée du plaisir, mais l’idée du désordre. A quelques pas, une bouteille de gin vide. Une vieille femme malpropre sert à Kate son thé dans un pot de terre. N’oublions pas les deux petits cadres accrochés près de la tête du lit et qui ont déjà dû s’épingler dans plus d’un mur graisseux. Cependant la porte s’ouvre et livre passage à un personnage dont les traits expriment, avec l’austérité puritaine, l’entêtement inflexible de l’homme à principes : c’est Gonson le magistrat, qui fait si rude guerre aux prostituées. Plusieurs constables le suivent. Un des hôtes nocturnes de Kate a laissé entre ses mains une montre volée ; elle va donc être arrêtée comme receleuse et comme complice.

Maintenant elle pénètre dans la salle commune de Bridewell. Si le ciel triomphe pour un pécheur qui se repent, il est probable que l’enfer est en joie lorsqu’un juste succombe, ou que la ruine d’une âme en perdition est définitivement consommée. Ainsi l’a compris Milton, ainsi l’entend Hogarth. Bridewell retentit donc, à la vue de Kate, de sauvages hurlemens. La jeune femme parait effrayée de ce bruyant accueil. Ici, elle n’est encore qu’une débutante ; aussi retrouve-t-elle, en mettant le pied dans cette horrible réunion, quelque chose de l’air novice et ingénu du premier acte. La prison achève la dégradation de Kate. Reste l’expiation finale, l’agonie dans un grenier. L’enfant, un blondin de quatre à cinq ans, aux cheveux bouclés, joue sur le premier plan. Une garde, envoyée par quelque institution charitable, donne ses soins à la mourante. Expirera-t-elle, du moins, en paix ? Non, car la vieille femme du troisième tableau a reparu, escortée d’un charlatan. Sous prétexte de dévouement à son ancienne maîtresse, elle se dispose à fouiller dans la malle de Kate, où elle espère découvrir une jupe de soie ou une bague oubliée. Cette malle, nous la reconnaissons ; nous l’avons vue descendre du coche d’York. La pauvre fille, qui a dissipé tant de trésors, a gardé la petite malle noire aux clous dorés. L’a-t-elle gardée, ou, plutôt, la malle ne s’est-elle pas attachée à elle avec la ténacité de ces humbles choses que nous retrouvons à travers tous les bouleversemens de notre vie ? Nous ne tenons pas à elles, mais elles tiennent à nous. Fragiles, elles survivent à tout ce qui semble fait pour durer. En vain nous chercherions à les perdre, elles reviennent avec la sûreté de l’instinct et la fidélité de l’affection.

L’action est terminée ; il a plu à Hogarth d’y ajouter un épilogue. C’est une fantaisie ; elle nous charme, elle nous pénètre d’autant