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lui dit que, parmi les nouvelles lois sanctionnées, il avait vu avec une satisfaction particulière celle qui rendait les juges inéligibles. « Non-seulement, observait-il, je crois la mesure bonne en soi, mais j’en regarde l’adoption comme une entière renonciation à un principe erroné qui m’a mis, pour le suivre, dans la nécessité de dissoudre le dernier parlement. » On ne saurait trop admirer cette élasticité, cette souplesse du régime constitutionnel qui permet à un chef d’état de se métamorphoser avec une rapidité toute protéenne, de faire bonne mine à mauvais jeu, en passant subitement de l’absolutisme au libéralisme, de l’état de guerre à l’état de paix, en justifiant cet adage politique d’après lequel le roi ne saurait mal faire parce qu’il n’a pas de volonté propre et peut se dégager à chaque instant. Peu après cette capitulation de Craig, M. Bedard était remis en liberté sans condition et il s’empressait d’adresser à ses électeurs les réflexions suivantes, bien frappantes de la part d’un homme qui venait de subir une longue et injuste détention : « Le passé ne doit pas nous décourager ni diminuer notre admiration pour notre constitution. Toute autre forme de gouvernement serait sujette aux mêmes inconvéniens et à de bien plus grands encore. Ce que celle-ci a de particulier, c’est qu’elle fournit les moyens d’y remédier. Toutes les difficultés que nous avions déjà éprouvées n’avaient servi qu’à nous faire apercevoir les avantages de notre constitution. Ce chef-d’œuvre ne peut être connu que par l’expérience. Il faut sentir avec bonne foi les inconvéniens qui peuvent résulter du défaut d’emploi de chacun de ses ressorts pour être bien en état d’en saisir l’utilité… »

Les Canadiens espéraient donc faire tomber les préjugés de l’Angleterre à force de sagesse et de loyalisme ; ils marchaient pas à pas dans la route de la liberté, fidèles à leurs chefs, fidèles à eux-mêmes, préférant les lentes réformes aux révolutions, l’histoire au roman et regardant cette administration de Craig, qu’ils appelèrent le règne de la terreur, comme un de ces fléaux de la nature qui passent sans laisser de profondes traces. On en eut la preuve lorsque son successeur, le général Prévost, vint avec confiance réclamer leur concours contre la république américaine. Le droit de visite que s’arrogeait l’Angleterre, son refus d’admettre le principe que le pavillon couvre la marchandise, furent les prétextes de cette guerre, dont le vrai motif était la conquête de ces provinces anglaises, qui semblaient peser sur les États-Unis dans toute la largeur du continent. Vainement les Américains s’adressèrent-ils aux Canadiens en leur promettant la liberté civile, politique et religieuse, ceux-ci restent sourds à cet appel. Dès son arrivés, le général Prévost a su gagner leurs bonnes grâces. MM. Pierre Bedard et Bourdages, mommés, le premier juge de paix aux