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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/584

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tous les regards se portaient sur elle pour ne la plus quitter. Elle provoquait surtout les applaudissemens quand un pantomime commençait à la battre ou à la souffleter ; elle prenait sous les coups une physionomie si drôle, faisait des mines si gentilles, montrait si bien le rire au milieu de ses feintes larmes, que nul ne pouvait garder son sérieux.

Théodora était-elle souverainement belle, comme l’atteste Procope dans les Édifices ? « Sa beauté, dit-il, en parlant des statues de Théodora, est telle que personne ne saurait l’exprimer ni par des paroles ni par des images. » Était-elle seulement jolie, comme le même écrivain l’indique dans l’Histoire secrète ? D’après ce second portrait, Théodora était un peu petite et de teint très blanc et très pâle ; ses yeux extrêmement vifs avaient un incomparable éclat. L’historien arrête ici sa description sommaire et ne nous dit point si Théodora avait le corps d’une Phryné, fait pour convaincre un aréopage et pour poser devant un Apelles. On le peut supposer puisqu’elle aimait à paraître dans l’amphithéâtre ayant pour tout vêtement une écharpe de soie nouée autour des reins. Elle eût préféré, ajoute Procope, se montrer complètement nue au public, mais les règlemens de police le défendaient. Dans les coulisses et pendant les répétitions, elle quittait tout vêtement, et, nue au milieu des mimes et des acrobates, elle s’exerçait à lancer le disque.

À la profession de funambule Théodora joignait le métier de courtisane. Avant qu’elle fût nubile, elle se livrait aux esclaves qui attendaient leurs maîtres à la porte du théâtre. Quand elle fut jeune fille, on compta par centaines le nombre de ses amans d’un jour. Patrices, acrobates, esclaves, soldats, portefaix, matelots, elle se donnait à tous avec une égale facilité et une égale dépravation. Théodora personnifie la débauche antique dans toutes ses infamies. Auprès d’elle, Messaline est continente.

À mener cette vie, Théodora gagna un affreux renom. Lorsqu’on la rencontrait dans quelque rue, on se détournait ou l’on s’arrêtait afin de n’être point souillé du contact de ses vêtemens, de l’air qu’elle respirait. Sa vue au lever du jour passait pour un présage néfaste. Cependant, un certain Hécébole, personnage aussi rebelle aux idées superstitieuses qu’insensible à l’opinion, emmena Théodora dans la Cyrénaïque, dont il venait d’être nommé gouverneur. Hécébole pouvait espérer d’ailleurs que la réputation de Théodora n’avait pas pénétré jusqu’en Afrique. Le gouverneur se lassa vite de cette indigne maîtresse. Il la chassa, et la malheureuse tomba dans la plus atroce misère. Elle courut toutes les villes de l’Afrique orientale, depuis Cyrène jusqu’à Alexandrie, en vivant de prostitution. Vieillie et fanée, portant, dit Procope, sur son corps et sur son visage les flétrissures de la débauche, elle put enfin