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mariée, elle remet au temps où quelque catastrophe dans les affaires lui fournira une bonne raison de prêter main-forte au père de famille, l’emploi de la plaque de cuivre qui porte deux mots étrangement accouplés : « Docteur Ruth. »

Tous ces types de femmes émancipées ou sur le point de l’être sont d’ailleurs des figures d’arrière-plan ; elles laissent l’attention s’arrêter sur d’autres figures moins exceptionnelles, pourvues des qualités bonnes ou mauvaises que notre mère Eve légua jadis à ses filles sans se douter qu’elles revendiqueraient jamais les fameux droits au vote et au pantalon. Il appartenait à une femme du talent le plus délicat, le plus pur et le plus modeste d’aborder de front le sujet scabreux et de le faire accepter.


II

Avant de donner ici l’analyse d’un Médecin de campagne, nous ferons connaître son auteur. Les précédens travaux de Sarah Orne Jewett, et ce qu’ils révèlent de cette personnalité singulièrement sympathique prêtent beaucoup de poids à la croisade commencée par elle avec autant de franchise que de prudence en faveur de la femme libre. Son patronage est de ceux qui obligent les plus récalcitrans à prendre en considération une cause douteuse. Nul auteur ne peut être soupçonné moins que miss Jewett de tirer des coups de pistolet téméraires pour rassembler et amuser la foule. Elle s’était bornée jusqu’ici à des tableaux exquis de la nature. Son premier livre intitulé : les Chemins de traverse, a le genre de charme qui assura jadis un succès de si bon aloi aux esquisses rurales d’une autre authoress presque contemporaine de Walter Scott, Mary Russell Mitford ; il est dédié aussi à un père adoré, « le meilleur des maîtres, le meilleur des amis, le plus sage des hommes, » le docteur Jewett, dont les leçons formèrent le jeune esprit de sa fille, tandis que tous les deux erraient ensemble par ces chemins de campagne qui devaient être ensuite le point de départ d’une fortune littéraire. De fait Country By-Ways ne se distingue de Our Village, le village de miss Mitford, situé au sud de la Grande-Bretagne, que par la pénétrante saveur de terroir qui nous transporte dès les premières lignes dans cette Nouvelle-Angleterre humoriste et puritaine à la fois. Un même sentiment a dicté les deux livres : le besoin plein de tendresse de peindre comme on les voit des scènes locales, d’humbles figures familières, afin de prouver que partout, dans toutes les conditions de la vie, le bien et le bonheur existent, que le moyen de les rencontrer est de les chercher en pleine nature, au grand air, au grand soleil. Miss Mitford a tracé ce cadre, miss Jewett après elle a travaillé à le remplir en s’aidant de nouveaux