Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/632

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne le regretterai jamais, réplique Nan, je ne crois pas être propre à autre chose et je veux une tâche qui m’absorbe. J’ai tant désiré d’être un garçon lorsque j’étais petite, et pour un seul but,.. pour pouvoir devenir médecin comme vous !

— Mieux que cela, j’espère, dit l’excellent homme.

Deux années sont consacrées par Nan à éprouver sa vocation en travaillant avec lui. Tout ignorante qu’elle soit encore, elle a l’instinct du diagnostic, comme un peintre a celui de la couleur ou un compositeur celui de l’harmonie. L’étude et l’expérience développeront ce don naturel ; mais elle le possède, et leurs conversations familières pendant les longues veillées au coin du feu ou les longues courses d’une ferme à l’autre, lui font apprendre tout ce que les cours de la faculté ne révèlent pas. Déjà elle ne connaît ni le dégoût, ni la pruderie auprès des malades, ni la peur en présence de la mort ; son âme est trempée, elle a fait assidûment le métier d’infirmière en même temps qu’elle a ébauché, sous un maître éclairé, les études d’usage quand l’heure sonne pour elle de sortir du port.

Ici l’auteur esquive bien des difficultés ; il serait curieux de voir Nan dans une grande ville, abandonnée à elle-même ; un peu d’émotion romanesque pourrait en résulter ; mais nous ne saurons rien de cette période, intéressante pourtant, de la vie d’une doctoresse, sauf que toutes les protections qui contribuent à pousser un jeune homme sont refusées à une jeune fille. Ce qui fait honneur à celui-là nuit plutôt à celle-ci ; la masse des honnêtes gens, dont pour rien au monde elle ne voudrait se séparer, désapprouve tacitement des efforts qu’on porterait aux nues s’ils étaient justifiés par un peu de barbe.

Cependant Nan n’est pas seule de son espèce, elle retrouve deux ou trois de ses anciennes amies de pension qui lui font bon accueil, et la timidité qui accompagne chez une femme, lorsqu’elle n’a rien d’un esprit fort, toute démarche, toute résolution exceptionnelle s’évanouit chez elle peu à peu.

— Elle travaille, elle réussira, car, dit le docteur, rien ne réussit comme le succès.

Alors nous nous détournons de Nan pour faire une nouvelle connaissance.

Durant les années que la fille de son frère a passées sous la tutelle d’un étranger, miss Prince de Dunport a souvent et beaucoup songé à cette nièce, dont la seule existence lui rappelle de cruels souvenirs ; elle eût aimé la voir, malgré le refus opposé à ses offres, mais l’orgueil l’a retenue ; bref, elle a concentré les affections dont elle reste capable sur le fils d’un fiancé avec lequel, pour une peccadille, elle s’est brouillée autrefois, puis qui s’est marié par dépit et qui est mort. Le jeune George Gerry accapare sa sollicitude, et la mérite d’ailleurs ; il a les traits de son père et,