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aliénées, à Gand. Il est évident que, pour comparer Gheel aux autres asiles, il faudrait ne tenir compte que des entrans avec pronostic douteux ou favorable : il nous semble que Gheel n’aurait rien à redouter de cette comparaison,

La cause que nous venons d’indiquer pour expliquer le chiffre réduit des guérisons à Gheel intervient encore pour élever le chiffre des décès. De 1860 à 1875, la proportion des décès a varié de 5 à 10 pour 100 : à deux reprises seulement, ce dernier chiffre a été atteint. Néanmoins cette proportion n’a rien d’exagéré, et, si l’on tient compte de la nature incurable de la majorité des malades, on voit que Gheel, s’il ne peut guérir les incurables, les maintient en vie et en santé pendant de longues années, grâce sans doute à l’existence au grand air et an système du traitement familial.

La population d’aliénés s’est rapidement accrue depuis quelques années. En 1840, il y avait 717 aliénés ; en 1855, on en compte 778 ; en 1866, ce nombre s’élève à 1,035 ; en 1872, à 1,118 ; en 1879, à 1,383 ; en 1883, à 1,663. Cet accroissement tient, d’une part, à ce que la population indigène s’offre, de plus en plus, à recevoir des aliénés ; de l’autre, aux réformes qui s’accomplissent incessamment dans l’organisation des services administratif et surtout médical. Les garanties médicales offertes par Gheel deviennent de plus en plus sérieuses, et les familles, non moins que l’assistance publique, sentent que les malades qu’elles laisseront à Gheel ne manqueront pas des soins nécessaires, tout en jouissant d’une liberté qu’ils ne peuvent avoir dans les asiles fermés.

La nationalité des malades varie : la plupart sont des Belges, tout naturellement ; puis viennent des Hollandais, quelques Français, peu d’Allemands et d’Anglais.

Il en est, parmi ces aliénés, qui ont passé la plus grande partie de leur vie à Gheel : ainsi, tel aliéné y est mort après un séjour de cinquante ans ; tel autre y a demeuré cinquante-deux ans ; les séjours de quarante à cinquante ans de durée ne sont pas rares. Il y a passablement de vieillards à Gheel, témoignant, par leur santé, de l’excellence du climat et des bienfaits de la vie libre et en plein air.

En somme, qu’est-ce que le traitement familial ? En quoi consiste-t-il ? L’aliéné est enlevé à son milieu habituel, à la société de ceux parmi lesquels il est tombé malade. Ils n’existent pour lui qu’en souvenir : ils ne sont pas là pour lui rappeler incessamment un sujet de tristesse, pour entretenir le courant d’idées où il se trouve. Une vie nouvelle s’ouvre pour lui, avec de nouveaux visages, dans un pays nouveau : tout lui est sujet à distraction ; et, d’autre part, il n’a pas ce sentiment continuel de l’asile fermé, de la porte qu’on ne franchit pas, du mur au-dessus duquel le regard ne passe