Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/699

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourtant que c’est une tragédie. La faute est soupçonnée, — elle est avouée, — elle est absoute, — voilà le commencement, le milieu et la fin de l’action. Nul accident ne divise cette action : elle est donc simple ; et les ressorts de cette unique machine sont cachés dans les cœurs. Si l’on s’avise que le jeune homme est poussé par son amour à la recherche du fatal secret ; que la jeune fille, d’autre part, est décidée par son amour même à faire au jeune homme cette confession qui doit en détruire les chances ; que le jeune homme enfin, touché de ce sacrifice, le récompense par le plus énergique effort d’une âme éprise, on trouvera que les passions ici sont violentes et que les sentimens sont beaux. D’ailleurs, ni l’héroïne ni le héros ne sont tout à fait bons ni tout à fait méchans : l’héroïne a péché ; le héros n’est pas de ces purs esprits qui se domptent sans peine, et devant qui les souillures du corps sont comme si elles n’étaient pas : l’un par une faute, l’autre par une faiblesse humaine, tombent dans un malheur plus cruel que nous le voudrions, et qui excite notre crainte et notre pitié. Ils y tombent, ils s’en tirent dans l’espace de quelques heures et sans sortir d’un salon. Par toutes ces raisons, et j’en passe, Denise est une tragédie. Derrière Diderot, derrière Racine et Corneille, Aristote sourit à M. Dumas.

André de Bardanne a trente ans ; il a fait ses classes à Paris, et aussi ses humanités pratiques : il y a mené, en galant homme, la vie élégante. Il a su arrêter à temps le gaspillage de sa fortune et de sa personne ; par les conseils d’un ami, Thouvenin, agronome, qu’il a aidé au début de sa carrière, il s’est retiré dans ses terres et y a retrouvé la richesse. A la recommandation d’une de ses amies, Mme de Thauzette, plus âgée que lui d’une quinzaine d’années et qui fut sa première maîtresse, il a pris pour régisseur un ancien officier, Brissot. Ce régisseur a une excellente femme et une fille, charmante et grave personne, Denise. André est orphelin ; il n’a, pour toute famille, qu’une sœur appelée Marthe. Jusque-là dissipé à Paris ou isolé dans son château, il avait laissé Marthe au couvent, quoique déjà grandelette. Après qu’il a éprouvé par un commerce quotidien les caractères de Mme Brissot et de sa fille, il fait venir Marthe et la leur confie. Aussitôt arrivent, alléchés par la dot de Marthe, Mme de Thauzette et son fils Fernand, un jeune homme à marier, qui fut camarade de collège d’André. Tels sont les personnages qui s’offrent à nos yeux, Mme de Thauzette exceptée, dès la première scène ; ils sont dénommés et qualifiés au cours de l’interrogatoire qu’une voisine, mauvaise pecque provinciale, fait subir au maître du logis.

Le dernier venu de ces personnages, Fernand, est un beau gars ; issu d’une mère galante, il chasse de race : il ne se cache pas, lorsqu’il rencontre un partenaire comme Thouvenin pour faire assaut de philosophie, — disons mieux, il se vante d’être un sectateur de la